Monsieur Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations Unies, introduit la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars 2024 de la façon suivante :
« En cette Journée internationale des femmes, nous honorons les femmes et les filles du monde entier et nous saluons tous les résultats qu’elles ont obtenus dans la lutte pour l’égalité.
Les femmes et les filles ont réalisé des progrès considérables en renversant les barrières, en déconstruisant les stéréotypes et en montrant la voie du progrès vers un monde plus juste et plus égalitaire.
Pourtant, elles se heurtent à d’immenses obstacles. Des milliards de femmes et de filles sont marginalisées et font face à l’injustice et à la discrimination, tandis que l’épidémie persistante de violence à l’égard des femmes reste une honte pour l’humanité.
Notre monde porte encore les stigmates de millénaires de rapports de force dominés par les hommes.
Et les progrès sont remis en cause, avec des réactions virulentes contre les droits des femmes.
Au rythme actuel, l’égalité juridique ne sera pas atteinte avant trois cents ans.
Nous devons avancer beaucoup plus rapidement. »
Chaque année, la journée du 8 mars tend à faire avancer les choses. Elle est marquée par de nombreuses manifestations dans le monde, visant à faire entendre les revendications en matière d’égalité des genres et à lutter contre les violences faites aux femmes.
Si le combat des femmes face au patriarcat est colossal et est conduit 365 jours par an, cette journée dédiée permet de sensibiliser et de mobiliser un large public sur ces différents sujets :
- Prévention et lutte contre les violences sexistes et sexuelles
- Égalité professionnelle et autonomie économique des femmes
- Accès à la santé, aux droits sociaux et politiques
- Culture de l’égalité pour la jeunesse
- Place des femmes dans les médias, la culture, le sport
- Égalité entre les femmes et les hommes dans les territoires[1]
Le présent article propose de se concentrer sur le premier enjeu, à savoir la lutte contre les violences faites aux femmes.
Les Nations Unies définissent les violences à l’égard des femmes de la façon suivante : « tous les actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ».[2]
Seront ici spécialement abordées les violences exercées à l’égard des femmes dans le domaine de la santé et en particulier les violences gynécologiques et obstétricales.
Ces violences couvrent des réalités extrêmement diverses telles que :
- l’absence de recueil de consentement à l’acte,
- les actes réalisés avec violence,
- les actes dont l’indication n’est pas médicalement justifiée (par exemple l’abus de recours à l’épisiotomie, de la césarienne, les expressions abdominales…),
- les gestes non dénués d’ambiguïté,
- les propos sexistes et les réflexions déplacées,
- les violences sexuelles
- autres
Certains sous-estiment ces violences, en affirmant qu’elles sont une légende ou encore que les femmes se plaignent trop. Pourtant la réalité est là.
Le 14 septembre 2020, était présentée à l’Assemblée nationale la proposition de résolution n°3305 invitant le Gouvernement à faire de la lutte contre les violences obstétricales et gynécologiques une priorité et à mettre en œuvre les recommandations du Haut Conseil à l’Egalité en la matière.
Cette proposition illustrait de manière évidente les violences exercées à l’égard des femmes :
« L’épisiotomie est un acte chirurgical consistant à inciser le périnée au moment de l’accouchement afin de laisser passer l’enfant. Très discutée depuis que ses bénéfices supposés ont été remis en cause par les études médicales récentes, l’épisiotomie est un acte qui peut se révéler très douloureux lors de sa réalisation et qui n’est pas sans conséquence sur la santé des femmes : douleurs cicatricielles, risque d’infection, d’incontinence et plus largement atteinte portée au périnée qui joue un rôle clé dans la santé gynécologique et la vie sexuelle et reproductive des femmes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) dénonçant les traitements non respectueux et abusifs dont peuvent être victimes les femmes lors de leur accouchement a conclu que l’épisiotomie devrait tendre vers un taux maximum de 10 %. Aujourd’hui, en France, elle est réalisée pendant un accouchement sur cinq et sur près de 35 % des primipares. »[3].
Trop souvent, le suivi gynécologique et obstétrical ne laisse guère place à l’empathie ou à la prise en compte de la douleur, qu’elle soit morale ou physique. Se pose également la question de la réalité du consentement des femmes à l’occasion des actes aussi invasifs qu’un toucher vaginal ou un accouchement. Cela même alors qu’on estime à 50 en moyenne le nombre de consultations gynécologiques et obstétricales au cours de la vie d’une femme (frottis, renouvellement de contraception, interruptions volontaires de grossesses, consultations pré et post accouchements…)[4] et à 723 000 le nombre d’accouchements ayant eu lieu en France en 2022[5].
Il est désormais temps d’agir : les violences obstétricales et gynécologiques sont une forme de sexisme restée trop longtemps tue et sous‑estimée parce que taboues. Dans l’intimité d’une consultation ou d’un accouchement, des femmes sont pourtant régulièrement victimes de pratiques violentes ou pouvant être perçues comme telles.
La parole des femmes commence à se libérer. Les violences gynécologiques et obstétricales sont dénoncées publiquement depuis quelques années et font l’objet d’une médiatisation grandissante à travers les réseaux sociaux, notamment via le hashtag « #PayeTonUtérus ».
Depuis le 21 octobre 2021, les consultations gynécologiques et obstétricales font l’objet d’une charte du Collège national des gynécologues et obstétriciens[6] qui rappelle certains principes essentiels. On peut citer :
– « le praticien conduit la consultation avec bienveillance et respect »
– « l’examen clinique n’est pas systématique »
– « l’examen clinique est précédé d’une explication sur ses objectifs et ses modalités »
– « l’accord oral de la femme est recueilli avant tout examen clinique »
– « l’examen doit pouvoir être interrompu dès que la patiente en manifeste la volonté »
Cette charte ne propose cependant aucune définition des violences gynécologiques et obstétricales et n’en fait même pas état.
De même, aucune définition de ces violences n’est apportée par le droit français.
En dépit de cette absence de définition claire, le comportement des professionnels de santé, auteurs de ces violences, peut faire l’objet de poursuites.
Les poursuites peuvent avoir lieu devant les juridictions ordinales. En effet, une patiente peut porter plainte auprès du conseil départemental de l’ordre (des médecins ou des sages-femmes). Dans ce cas, une réunion de conciliation est organisée entre la patiente et le professionnel de santé. Cette participation de la victime à une réunion de conciliation face à son agresseur semble cependant assez inadaptée.
Les sanctions prononcées peuvent en outre sembler peu dissuasives. A ce titre on peut citer une décision de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins (n°14100) du 16 avril 2021 dans laquelle la chambre a condamné un gynécologue, ayant effectué des « allers-retours répétés des deux doigts introduits dans le vagin de la patiente » se plaignant de dyspareunie, à une interdiction d’exercice de seulement six mois après avoir pourtant relevé que les gestes effectués ne présentaient « aucune justification médicale mais ont un caractère sexuel »[7].
Par ailleurs, les poursuites peuvent avoir lieu devant les juridictions pénales.
Si aucune infraction spécifique n’est prévue pour les violences gynécologiques et obstétricales, différentes infractions existantes peuvent permettre de qualifier ces atteintes sexuelles :
– l’agression sexuelle (article 222-22 du code pénal)
– le harcèlement sexuel (article 222-33 du code pénal)
– l’outrage sexiste (article 621-1 du code pénal)
– le viol (article 222-23 du code pénal)
– les violences volontaires (article 222-7 du code pénal)
Mais encore faut-il que la preuve de leur caractérisation puisse être apportée, ce qui n’est pas aisé notamment lorsque les faits se déroulent dans l’intimité d’une consultation et que les patientes voient leur parole directement confrontée à celle de leur médecin.
Si malgré cette difficulté probatoire, les faits sont avérés, la victime de ces atteintes pourra bien entendu obtenir indemnisation des préjudices subis.
Ainsi, bien que certains outils juridiques existent pour permettre aux victimes de poursuivre l’auteur de violences gynécologiques et obstétricales, celles-ci demeurent largement impunies. Ces violences reflètent une culture patriarcale encore dominante dans la société, notamment dans le domaine médical. Il est temps d’y mettre un terme et il faut espérer que cette journée du 8 mars soit une nouvelle occasion d’en parler et de lutter contre.
Pour plus d’information sur ce sujet, il est possible de consulter le numéro anniversaire du Journal de Droit de la Santé et de l’Assurance Maladie publié (JDSAM), édité par l’Institut Droit et santé, dont le dossier thématique a pour sujet « Les violences obstétricales et gynécologiques : l’appréhension par le droit en France et à l’étranger ».
Lola BRIQUET MOSALOMaster 2 Activités de santé et responsabilités,Université Paris Cité
[1] Domaines d’inscription de l’action du ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
[2] Nations Unies. Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. New York, ONU, 1993
[3] Proposition de résolution n°3305 du 14 septembre 2020 invitant le Gouvernement à faire de la lutte contre les violences obstétricales et gynécologiques une priorité et à mettre en œuvre les recommandations du Haut Conseil à l’Egalité en la matière.
[4] Ibid.
[5] Bilan démographique 2022, données Insee.
[6] Charte de la consultation en gynécologie et en obstétrique, Collège national des gynécologues et obstétriciens, 21 octobre 2021.
[7] Maître Levy Estelle, « Les violences obstétricales et gynécologiques appréhendées par le droit », 18 janvier 2022, Village de la justice.