Veille des actions de groupe en matière de santé de l’Institut Droit et Santé

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Amel GHOZIA

Avocate et Docteure en droit

Chercheuse associée à l’Institut Droit et Santé

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        1. 1. Introduction

      L’action de groupe ou « class action » a été introduite en droit français par la loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Mais, il a fallu attendre la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé pour qu’une telle action soit ouverte en matière de santé.

      L’article 184 de la loi du 26 janvier 2016 a créé un chapitre 3 intitulé « Action de groupe » au sein du titre IV « Réparation des conséquences des risques sanitaires » du Code de la santé publique (article L. 1143-1 à L. 1143-13 CSP). Il s’agit d’une nouvelle voie d’indemnisation ouverte aux usagers du système de santé afin notamment de répondre aux spécificités des dommages dits « de masse ». Le décret n°2016-1249 du 26 septembre 2016 est aussi venu préciser les modalités de mise en œuvre de cette action (article R. 1143-1 à R. 1143-14 CSP).

      L’action de groupe en matière de santé est ainsi définie par l’article L. 1143-2 du code de la santé publique tel que modifié par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIesiècle :

      « Une association d’usagers du système de santé agréée en application de l’article L. 1114-1 peut agir en justice afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des usagers du système de santé placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un producteur ou d’un fournisseur de l’un des produits mentionnés au II de l’article L. 5311-1 ou d’un prestataire utilisant l’un de ces produits à leurs obligations légales ou contractuelles. »

      Il s’agit donc d’une nouvelle action qui vise plus particulièrement la défense des intérêts d’autrui, à savoir ceux des victimes de dommages corporels liés à un produit de santé afin de leur permettre d’en obtenir réparation. Elle se distingue cependant des actions de substitution (action oblique, action d’un syndicat de salariés pour la défense des intérêts d’un de ses membres, action d’une association pour la défense des intérêts individuels de ses membres) et de l’action en représentation conjointe des associations de consommateurs (articles L. 622-1 à L. 622-4 C. consommation).

      En effet, l’action de groupe ne répond pas aux mêmes conditions de mises en œuvre et repose sur une procédure en deux phases bien spécifiques :

      • Phase 1 dite de « jugement sur la responsabilité »précisée à l’article L. 1143-3 du Code de la santé publique : « Dans la même décision, le juge constate que les conditions mentionnées à l’article L. 1143-2 sont réunies et statue sur la responsabilité du défendeurau vu des cas individuels présentés par l’association requérante. Il définit le groupe des usagers du système de santé à l’égard desquels la responsabilité du défendeur est engagéeet fixe les critères de rattachement au groupe.Le juge détermine les dommages corporels susceptibles d’être réparéspour les usagers constituant le groupe qu’il définit».
        Cette décision judiciaire doit ensuite être publiée afin d’informer les usagers du système de santé souhaitant adhérer à l’association afin de solliciter l’indemnisation de leurs préjudices (« l’opt-in »). Il ressort en effet de l’article L. 1143-4 du Code de la santé publique que :
        « Dans la décision mentionnée au premier alinéa de l’article L. 1143-3, le juge fixe le délai dont disposent les usagers du système de santé remplissant les critères de rattachement et souhaitant se prévaloir du jugement prévu à l’article L. 1143-3 pour adhérer au groupe afin d’obtenir la réparation de leurs préjudices. Ce délai, qui ne peut être inférieur à six mois ni supérieur à cinq ans, commence à courir à compter de l’achèvement des mesures de publicité ordonnées.
        Au choix de l’usager, la demande de réparation est adressée à la personne reconnue responsable soit directement par lui, soit par l’association requérante, qui reçoit ainsi mandat aux fins d’indemnisation.
        L’usager donnant mandat à l’association lui indique, le cas échéant, sa qualité d’assuré social ainsi que les organismes de sécurité sociale auxquels il est affilié pour les divers risques. Il lui indique également les prestations reçues ou à recevoir de ces organismes et des autres tiers payeurs du chef du dommage qu’il a subi, afin que ceux-ci puissent faire valoir leurs créances contre le responsable. L’association informe du mandat reçu les organismes de sécurité sociale et les tiers payeurs concernés. »
        En principe, à l’issu du délai précité, l’association va solliciter le paiement de l’ensemble des sommes dues directement auprès du défendeur. Si celui-ci ne s’exécute pas ou n’offre pas satisfaction, il est alors de nouveau fait appel au juge.
      • Phase 2 dite de « liquidation des préjudices »au cours de laquelle le juge va trancher les contestations relatives à l’indemnisation et rendre une décision exécutoire qui permettra à l’association mandatée de mettre en œuvre les mesures d’exécution forcée utiles en vue d’obtenir la réparation de l’ensemble des préjudices subis par ses membres (article L. 1143-11 CSP).

      En outre, le législateur a prévu la possibilité de recourir à la médiation en lui consacrant toute une section III au sein du chapitre III relatif aux actions de groupe dans le Code de la santé publique (article L. 1143-6 à L. 1143-10 CSP). Ainsi, l’article L. 1143-6 du code précité prévoit la possibilité pour le juge, avec l’accord des parties, de donner mission à un médiateur, éventuellement assisté d’une Commission de médiation (composée de 9 personnalités[1]), de proposer aux parties une convention réglant les conditions de l’indemnisation amiable des dommages qui font l’objet de l’action. Le juge fixe alors la durée de la mission du médiateur dans la limite de trois mois. Il peut la prolonger une fois, dans la même limite, à la demande du médiateur.

      La convention d’indemnisation amiable fixe les conditions dans lesquelles les personnes mises en cause assurent aux personnes ayant subi un dommage corporel en raison d’un ou de plusieurs faits qu’elle identifie la réparation de leur préjudice. Selon l’article L. 1143-8 du Code de la santé publique, cette convention précise :

      • Si les éléments à la disposition des parties et la nature des préjudices le permettent, le type de dommages corporels susceptibles de résulter du ou des faits mentionnés au premier alinéa ;
      • Les modalités d’expertise individuelle contradictoire ;
      • Les conditions dans lesquelles la charge des expertises mentionnées au 2° est supportée par les personnes mises en cause ;
      • Les conditions dans lesquelles les offres transactionnelles individuelles sont présentées aux personnes intéressées ainsi qu’aux tiers payeurs ayant supporté des frais du fait des dommages subis par ces personnes ;
      • Le délai dans lequel doivent intervenir les demandes de réparation pour bénéficier des conditions qu’elle prévoit ;
      • Les modalités de suivi du dispositif ;
      • Les mesures de publicité mises en œuvre par les personnes mises en cause pour informer les usagers du système de santé concernés de l’existence de la convention, de la possibilité de demander réparation aux conditions qu’elle fixe ainsi que du délai et des modalités applicables.

      La convention d’indemnisation amiable doit ensuite être acceptée par l’association requérante et l’une au moins des personnes mises en cause et être homologuée par le juge saisi de cette action (article L. 1143-9 CSP).

      Enfin, il convient de noter que la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 précitée a également élargi l’action de groupe à quatre autres domaines qui sont susceptibles d’être, dans certains cas, en lien avec celui de la santé :

      • En matière de discrimination (article 86) : l’action va permettre à des personnes physiques faisant l’objet d’une discrimination liée notamment à leur perte d’autonomie, leur handicap, leurs caractéristiques génétiques, ou leur identité de genre (art 225-1C. pén.) d’obtenir (1) la cessation du manquement ; (2) et, le cas échéant, la réparation des préjudices subis par le biais d’une association intervenant dans la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap.
      • En matière de discrimination soit dans les relations relevant du code du travail (article 87 créant les articles L. 1134-6 à L. 1134-10 C. du trav.) ; soit imputable à un employeur et portée devant la juridiction administrative (2) (article 88 créant les articles L. 77-11-1 à L. 77-11-6 C. justice adm.) : Il s’agit de la possibilité ouverte, dans le milieu du travail (public ou privé), aux candidats à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou aux salariés/fonctionnaires subissant une discrimination, directe ou indirecte, fondée sur un même motif (état de santé, perte d’autonomie, handicap, etc.) et imputable à un même employeur. L’action peut être menée par une organisation syndicale représentative ou une association régulièrement constituée depuis au moins cinq ans pour la lutte contre la discrimination ou œuvrant dans le domaine du handicap (article 1134-2 et L. 1134-3 C. trav.). Comme précédemment, les victimes pourront obtenir la cessation du manquement et, le cas échéant, la réparation des préjudices subis.
      • En matière environnementale (article 89 créant l’article L. 142-3-1 C. envir.) : Les personnes subissant des préjudices corporels et/ou matériels résultant d’un dommage lié à la protection de l’environnement ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions pourront également être indemnisées au titre de l’action de groupe en matière environnementale. Toutefois, seules les associations suivantes ont qualité à agir : (1) les associations, agréées dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat, dont l’objet statutaire comporte la défense des victimes de dommages corporels ou la défense des intérêts économiques de leurs membres ; (2) les associations de protection de l’environnement agréées en application de l’article L.141-1 du Code de l’environnement. Cette action peut tendre à la cessation du manquement, à la réparation des préjudices corporels et matériels résultant du dommage causé à l’environnement ou à ces deux fins.
      • En matière de protection des données à caractère personnel (article 91 créant l’article 43 ter au sein de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés) : Une action de groupe est ouverte aux personnes victimes notamment d’un manquement par un responsable de traitement de données de santé ou un sous-traitant. Cette possibilité est particulièrement intéressante à l’heure du développement de la e-santé et de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé. Seules peuvent exercer une telle action : (1) les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins ayant pour objet statutaire la protection de la vie privée et la protection des données à caractère personnel ; (2) les associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national et agréées en application de l’article L. 811-1 du code de la consommation, lorsque le traitement de données à caractère personnel affecte des consommateurs ; (3) les organisations syndicales de salariés ou de fonctionnaires représentatives au sens des articles L. 2122-1, L. 2122-5 ou L. 2122-9 du code du travail ou du III de l’article 8 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ou les syndicats représentatifs de magistrats de l’ordre judiciaire, lorsque le traitement affecte les intérêts des personnes que les statuts de ces organisations les chargent de défendre. En revanche, contrairement aux domaines précédents, cette action ne permet que d’obtenir la cessation du manquement.

      Pour conclure, il convient de relever que l’action de groupe en matière de santé se distingue des autres actions de groupe en ce que son unique finalité est la réparation du préjudice corporel subi par les victimes. Une telle action ne permet donc pas de solliciter le retrait du produit de santé défectueux et/ou d’obtenir la cessation des agissements du producteur, du fournisseur ou du prestataire.

       

            1. 2.

          Les actions de groupe en matière de santé en cours

      À ce jour, trois actions de groupe engagées dans le domaine de la santé :

      • Une action de l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant (APESAC) engagée le 13 décembre 2016 devant le TGI de Paris, contre le laboratoire Sanofi pour des malformations chez des enfants exposés in utero au valproate (Dépakine). Cette action de groupe a été déclarée recevable par le tribunal judiciaire de Paris le 5 janvier 2022. Il a été jugé que Sanofi
        *« a commis une faute en manquant à son obligation de vigilance et à son obligation d’information pour les enfants exposés avant le 22 mai 1998 concernant les médicaments Dépakine, Micropakine, Dépakote, Dépakine Chrono et Dépamide sur le fondement des articles 1382 ancien et 1240 nouveau du code civil entre 1984 et janvier 2006 pour les malformations congénitales et entre 2001 et janvier 2006 pour les troubles neuro développementaux» (décision n°17/07001)
        *« a produit et commercialisé un produit défectueux sur le fondement des article 1386 et 1245 et suivants du code civil pour les enfants exposés à compter du 22 mai 1998 concernant la Dépakine, Micropakine, Dépakote, Dépakine Chrono et Dépamide entre le 22 mai 1998 et janvier 2006 pour les malformations congénitales et entre 2001 et janvier 2006 pour les troubles neuro-développementaux» (décision n°17/07001) ;
      • Une action du Réseau d’entraide, soutien et information sur la stérilisation tubulaire (RESIST) engagée le 24 mars 2018 devant le TGI de Paris, contre le laboratoire Bayer pour des effets secondaires d’implants contraceptifs « Essure ». Toutefois, par un jugement en date du 11 mai 2022, le tribunal judiciaire de Paris a déclaré cette action de groupe irrecevable sur les fondements des dispositions de l’article L.1143-2 du code de la santé publique.

      Ainsi selon le tribunal judiciaire « il ressort de l’analyse détaillée des 19 cas qui viennent au soutien de l’action de groupe à titre d’illustration, que nous sommes en présence de cas extrêmement hétérogènes dont 4 ne comportent aucune expertise médicale faisant état d’un lien de causalité entre la pose des implants et les problèmes de santé, bien réels des patientes et 13 cas qui comprennent une expertise médicale judiciaire indiquant qu’il n’est pas démontré un lien de causalité direct et certain entre les troubles présentés et la pose du dispositif médical ESSURE. En outre, les problèmes de santé évoqués et constatés divergent fortement d’une femme à l’autre et recouvrent des réalités extrêmement différentes.

      C’est ainsi que ces 19 cas ne peuvent être considérés comme relevant de situations similaires ou identiques, bien au contraire, et ayant pour cause commune un manquement d’un producteur ou d’un fournisseur à ses obligations légales, en application des dispositions de l’article L 1143-2 du code de la santé publique, puisque dans 13 cas sur 19 une expertise médicale judiciaire vient dire qu’il n’y a pas de lien de causalité direct et certain entre le dommage constaté et la pose du dispositif ESSURE» (Paris, 11 mai 2022, n° 18/03264).

      L’association RESIST a depuis renoncé à faire appel de ce jugement.

      • Une action de l’Association d’aide aux victimes des accidents des médicaments (AAAVAM) engagée le 7 juin 2019 devant le TGI de Lille, à l’encontre du laboratoire Bayer, concernant la commercialisation de l’Androcur suspecté de provoquer des effets secondaires comme des tumeurs.

       

          1. 3.

        Le bilan de l’action de groupe en matière de santé

      Depuis 2014, le nombre d’actions de groupe reste limitée en France en particulier dans le domaine de la santé. En effet, sur 21 actions de groupe engagées seulement 3 concernent la santé (V. Supra II.).

      Selon certains auteurs[2], les explications d’un tel bilan peuvent être multiples :

      • Certains secteurs se sont prémunis contre de telles actions en supprimant notamment des clauses illégales figurant dans leurs contrats.
      • Le législateur a établi des conditions restrictives de mise en œuvre de l’action de groupe. En effet, craignant l’émergence, en France, du phénomène des « class actions» américaines, le législateur a mis en place de nombreuses étapes (mise en demeure préalable, jugement sur la responsabilité, règlement des différends, jugement liquidant les préjudices) dissuasives pour le justiciable l’incitant à recourir à des solutions négociées.
      • La législation relative aux actions collectives apparait plus favorable que celle portant sur les actions de groupe. Par conséquent, ce sont les actions conjointes, les actions en représentation conjointe ou les contentieux sériels qui sont privilégiés.

      Par ailleurs, les personnes auditionnées dans le cadre de la mission d’information sur l’action de groupe, créée le 10 juillet 2019 par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, ont également dressé un bilan mitigé de l’action de groupe en raison précisément du faible nombre d’actions intentées depuis sa création. En effet, seulement une vingtaine d’actions, tous domaines confondus, ont été menées depuis 2014 et aucune d’entre elle n’a atteint la deuxième phase. Cet échec ne semble pas être lié à un manque d’associations agréées car le nombre d’actions de groupe en santé menées est très faible compte tenu du nombre d’associations d’usagers du système de santé agréées (160 au niveau national et 280 au niveau régional) tandis que le nombre d’actions de groupe en matière de consommation est plus important alors que les associations de consommateurs agréées sont très peu nombreuses (15 au niveau national).

      Un manque de moyens humains et financiers des associations agréées pour mener de telles actions et le monopole de la qualité à agir qui leur est conféré seraient davantage responsables de l’échec de l’action de groupe. Des réflexions sur le sujet ont été menées afin de donner une effectivité à l’action de groupe. A cet égard, il a été envisagé d’élargir ce monopole à des associations ad hoc, mais surtout aux avocats, qui œuvrent déjà pour l’indemnisation de dommages sériels dans le cadre d’actions collectives conjointes. L’action collective se distingue de l’action de groupe en ce qu’elle regroupe autant d’actions individuelles similaires que de victimes tout en permettant une défense commune. Elle présente l’avantage d’harmoniser l’indemnisation de victimes placées dans des situations similaires et d’accélérer le traitement des dossiers. Cette action semble en effet privilégiée pour ce qui est de la réparation des dommages causés par les produits de santé en raison de la lourdeur procédurale qui caractérise l’action de groupe (Assemblée nationale, Mission d’information sur le bilan et les perspectives de l’action de groupe, vidéos des auditions de Baptiste Allard et Patricia Foucher). A titre d’exemple, on peut citer les célèbres scandales du Mediator et du Levothyrox qui n’ont pas encore donné lieu à des actions de groupe mais seulement à des actions individuelles et collectives.

      L’action de groupe est également critiquée pour son caractère inadapté au secteur des produits de santé. La représentante du LEEM (Les Entreprises du Médicament) a, à cet égard, souligné que le caractère toujours multifactoriel des dommages causés par un produit de santé, et la pluralité de responsables qui en découle, font de l’action en responsabilité des produits de santé défectueux une action complexe à laquelle l’action de groupe rajoute de la complexité (« L’action de groupe est une procédure inadaptée au secteur de la santé, estime le LEEM », APM News, 12/02/2020).

      Enfin, le rapport d’information de la Commission des lois en date du 11 juin 2020 énonce que l’un des freins les plus significatifs au recours à l’action de groupe en matière de santé réside dans le fait que le préjudice moral n’est pas indemnisé et que par conséquent, les victimes se tournent davantage vers la justice civile ou pénale qui répare ce type de préjudice. De plus, il soulève la difficulté liée à la démonstration des dommages corporels similaires ou identiques des plaignants ainsi que la difficulté d’établir un lien de causalité dans les dossiers relatifs à la santé publique par exemple.

      Ainsi, pour pallier cette absence de recours aux actions de groupe, le rapport d’information précité préconise la mise en place d’un cadre commun pour toutes les actions de groupe et un élargissement de la qualité à agir  notamment aux associations régulièrement déclarées depuis deux ans au moins dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte, aux associations composées d’au moins cinquante personnes physiques, aux associations composées d’au moins dix entreprises constituées sous la forme de personnes morales ayant au moins deux ans d’existence et aux associations composées d’au moins cinq collectivités territoriales.

      Le rapport mentionne également la nécessité d’une meilleure indemnisation des victimes, d’un meilleur financement de ces actions et de réformes procédurales visant à réduire les délais de jugement. En ce sens une proposition de loi « pour un nouveau régime de l’action de groupe» a été déposée le 15 septembre 2020 à l’Assemblée nationale[3].

       

            1. 4.

          Les autres actions collectives en santé en cours ou latentes

      Il existe au moins 4 actions conjointes :

      • Une action engagée par Me Christophe Lèguevaques contre le laboratoire Merck puis contre l’Ansm relative aux dommages causés par l’usage du Lévothyrox ;
      • Une action contre le laboratoire Servier relative aux dommages causés par l’usage du Médiator ;
      • Une action contre l’entreprise PIP en raison des prothèses mammaires défectueuses ;
      • Une action contre l’État pour contamination des sols antillais au Chlordécone (pesticide).

      Note : actuellement il y a plusieurs actions collectives latentes (au stade de la pétition/plaintes individuelles) :

      • 4 actions collectives contre l’usage de la 5G :

      1/ Devant le juge judiciaire pour l’ouverture d’une procédure d’enquête afin d’obtenir des preuves sur des faits sous-jacents au déploiement ;

      2/ Devant le juge administratif à l’encontre de l’acte autorisant le déploiement de la 5G ;

      3/ Devant le juge judiciaire afin d’engager la responsabilité des quatre principaux opérateurs qui commercialisent la 5G ;

      4/ Devant la CEDH, sur le fondement de l’article 6 de la Conv.EDH relatif au droit au procès équitable.

      • 4 actions collectives envisagées concernant les soins contre le virus de la COVID-19 :

      1/ Référé administratif en suspension de décrets et action au fond en annulation ;

      2/ Procédure d’investigation publique afin de demander la communication forcée de pièces utiles à la manifestation de la vérité ;

      3/ Procédure devant la CEDH contre des décisions rendues par la Justice française à l’occasion de la crise.

      • 2 actions collectives envisagées concernant la maltraitance dans les Ehpad (ORPEA, KORIAN).

       

       

      ZOOM :

      La directive (UE) 2020/1828 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs, approuvée le 24 novembre 2020 par le Parlement européen[4]

      Cette directive est destinée à garantir la disponibilité, dans tous les États membres, d’un mécanisme d’action représentative visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs et à prévoir des garanties appropriées afin d’éviter les recours abusifs.

      Dès lors, elle permet de mettre en place un mécanisme harmonisé de recours collectifs.

      Le champ d’application de la directive est vaste : il couvre les actions en cessation et en réparation à l’encontre des infractions aux droits des consommateurs dans des domaines variés, tels que le droit de la consommation, la protection des données, les services financiers, le transport aérien et ferroviaire, le tourisme, l’énergie, les télécommunications, l’environnement ou encore la santé. Cette nouvelle directive constitue un moyen de recours supplémentaires pour les consommateurs en cas de violation du droit de l’Union européenne et ne porte pas préjudices aux droits que les justiciables détiennent à l’échelle nationale.

      La directive prévoit que les États membres doivent désigner une ou plusieurs entités qualifiées (telles que des organismes publics ou des associations de consommateurs) et mettre cette liste à disposition du grand public.

      Toujours selon la directive, ces entités doivent répondre à certains critères pour être désignées, tels que leurs sources de financement, leur structure organisationnelle, leurs objets statutaires, leur solvabilité et leurs activités. Une fois désignées, ces entités seront évaluées tous les cinq ans et pourront être révoquées par les États membres.

      Concernant les actions nationales, les États membres peuvent désigner ces entités conformément à leur droit national. Des entités ad hocpeuvent être constituées pour des actions nationales spécifiques. En revanche la possibilité d’y recourir est exclue pour les actions transfrontières.

      S’agissant du financement des actions représentatives à l’échelle européenne, la directive règlemente les financements par des tiers afin de garantir une meilleure transparence et éviter les conflits d’intérêts.

      La nouvelle disposition européenne défend également une meilleure publicité des actions intentées par les entités nationales, pour une meilleure information du consommateur.

      Ainsi, grâce à ce nouveau mécanisme, les entités ayant initié une action représentative pourront obtenir aussi bien la cessation d’une pratique illégale, qu’une réparation par les professionnels qui ont enfreint les dispositions du droit de l’Union européenne.

      Concernant la participation aux actions, la directive laisse libre choix aux États membres de choisir entre un mécanisme de participation (opt-in) ou de non-participation (opt-out) des consommateurs.

      La directive pose, par ailleurs, le principe du « perdant payeur », selon lequel la partie perdante de l’action représentative devra rembourser les frais exposés par la partie gagnante.

      En outre, les juridictions saisies par de telles actions auront la possibilité de rejeter les affaires au stade le plus précoce de la procédure, si elle est manifestement non fondée.

      Cette même directive met, enfin, en place le mécanisme de « discovery» qui donne la possibilité aux entités qualifiées de demander la production d’éléments de preuve en possession du défendeur ou à l’action d’un tiers, sur injonctions des juridictions saisies.

       


      Cette directive va-t-elle permettre une intensification des actions de groupe dans l’Union européenne et en France ?

      « Alors que la mission d’information regrettait que « l’action de groupe [n’ait] pas été à l’origine d’avancées significatives dans la défense des consommateurs », la directive pourrait lui donner un nouvel élan. La réforme du mécanisme de l’article 700 du code de procédure civile proposée par les parlementaires français afin que les juges prennent en considération les sommes réellement engagées par la partie gagnante, qu’il s’agisse notamment des honoraires d’avocat ou des coûts internes afférents à la procédure s’inscrit dans la logique du « perdant payeur » prônée par la directive. Alors que la mission d’information proposait une réflexion sur l’introduction en France pour la recherche de la preuve dans les actions de groupe de la procédure de discovery présente dans des pays de common law afin de permettre la production de certaines pièces dont la liste serait strictement limitée (comme l’identité des consommateurs lésés), par une décision motivée du juge, ce mécanisme est introduit par la directive. En revanche, la mission d’information propose la condamnation du professionnel au paiement d’une amende civile affectée au Trésor public pour renforcer les sanctions à l’égard des entreprises fautives alors que la directive interdit le recours à des dommages et intérêts à caractère punitif.

      Incontestablement, la transposition de la directive va donner une impulsion aux actions de groupe sur le territoire des États membres de l’Union européenne. Certains regretteront que l’initiative de l’action de groupe soit réservée à une « entité représentative » en observant qu’il s’agit précisément d’un frein au développement des actions de groupe qui a été constaté, notamment en France. Mais chaque État membre conserve la possibilité d’élargir les conditions prévues par la directive, sur ce point comme sur d’autres, d’ailleurs. La directive a seulement pour vocation de consacrer un cadre minimal et harmonisé pour les États membres, étant rappelé que les règles de l’Union européenne resteront applicables, notamment pour déterminer la compétence du juge et la loi applicable au litige »[5].

       

      —-

      [1]Art. L. 1143-3 CSP : le médiateur (président de la Commission), deux experts professionnels de santé compétents dans la ou les pathologies susceptibles d’être imputables au produit de santé en cause, une personnalité qualifiée dans le domaine de la réparation des dommages corporels, deux professionnels de santé compétents dans la ou les pathologies susceptibles d’être imputables au produit de santé en cause, un représentant des compagnies d’assurances, un représentant de l’ONIAM et un représentant des organismes de sécurité sociale.

      [2]V. notam. : P. JANUEL, actuEL-DJ, 18 juin 2020.

      [3]Proposition de loi n°3329.

      [4]JOUE du 4 décembre 2020. Les États membres ont jusqu’au 25 décembre 2022 pour s’y conformer.

      [5]P. MÉTAIS, É. VALETTE, « La directive actions représentatives : un nouvel élan pour les actions de groupe ? », Dalloz actu., 16 décembre 2020.

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