Un mois après la journée mondiale de lutte contre le cancer, a lieu, en France, la semaine nationale de lutte contre le cancer portée par les différents comités départementaux de la ligue contre le cancer. Cette semaine nationale est une occasion importante pour sensibiliser et éveiller les consciences.

 

Ce combat contre le cancer passe notamment par la sensibilisation au dépistage. Dépister permet en effet de diagnostiquer tôt certains cancers, avant l’apparition de symptômes, de pouvoir mieux les soigner et de limiter les séquelles liées aux traitements[1].

 

Cet article sera l’occasion d’aborder plus spécialement le dépistage du cancer du sein, cancer le plus fréquent chez la femme en France. Avec près de 60 000 nouveaux cas et 12 000 décès par an, le cancer du sein est ainsi la première cause de décès par cancer chez la femme.

 

D’après la Haute Autorité de Santé (HAS) lorsqu’il est détecté à un stade précoce, le cancer du sein peut être guéri dans plus de 90% des cas. Pour cette raison, les pouvoirs publics ont mis en place en 1994 un programme national de dépistage organisé du cancer du sein puis l’ont généralisé à tout le territoire en 2004.  Les femmes de 50 à 74 ans sont désormais invitées à bénéficier, tous les deux ans, d’une mammographie de dépistage réalisée par un médecin radiologue. Le programme national de dépistage garantit ainsi un égal accès au dépistage sur l’ensemble du territoire. L’examen étant pris en charge dans le cadre du tiers payant, aucun frais n’est avancé par les patientes. Les mammographies peuvent être réalisées dans des structures médicales publiques ou privées et la personne est en mesure de choisir son radiologue dans la liste des professionnels participant au programme.

 

Le bilan réalisé par l’Inspection Générale des Affaires Sociales (Igas) sur ces programmes de dépistage est toutefois sévère. Les résultats sont décevants et le dispositif souffre de différents problèmes organisationnels, d’un pilotage trop complexe et de retards dans plusieurs domaines. Le taux national de participation pour la période 2021-2022 n’est par ailleurs que de 47,7% ; 50,5% pour l’année 2021 et 44,9% pour l’année 2022[2]. Les femmes étant invitées à réaliser un dépistage tous les deux ans, il est nécessaire d’étudier et d’interpréter les données sur les périodes de deux années glissantes.

 

Le présent article envisagera dans un premier temps les raisons de ces résultats décevants de dépistage puis évoquera les actions envisageables pour améliorer les choses.

 

Pourquoi les résultats sont si décevants malgré une mobilisation des pouvoirs publics par un dépistage organisé ?

Plusieurs raisons sont évoquées par l’Igas dans son rapport de 2022.

 

  • Une politique trop complexe

 

Si les programmes étaient initialement organisés au niveau départemental, ils sont, depuis le 1er janvier 2019 organisés au niveau régional et pilotés par des centres régionaux de coordination des dépistages de cancer (CRCDC). Selon le rapport de l’Igas, les modalités de pilotage national étaient complexes en raison de la multiplicité d’entités intervenant dans la gestion du dépistage organisé.

 

Au niveau national les pilotes sont les suivants : la direction générale de la santé au pilotage des programmes, la HAS qui formule des recommandations, l’Institut National du Cancer (INCa) dans le pilotage opérationnel, l’Assurance Maladie pour le cofinancement, l’ANSM pour l’édiction des normes de contrôle et de qualité des installations de mammographie, Santé publique France s’agissant de l’évaluation des programmes et la Cnil comme régulateur des données personnelles.

Au niveau régional, les CRCDC sont chargés de coordonner les programmes pilotés par l’Agence régionale de santé (ARS). Les CRCDC avaient, avant 2024, huit missions parmi lesquelles figuraient la mise en œuvre du dispositif de dépistage, l’évaluation, assurer les relations entre les populations ciblées et les professionnels de santé, la gestion du système d’information, la recherche ou encore la réalisation d’expérimentations.

 

Selon le rapport de l’Igas, la régionalisation opérée en 2019 a conduit à une réorganisation dont la complexité avait été sous-estimée. À cette époque, les présidents des CRCDC affirmaient ne pas être associés aux décisions nationales tout en faisant l’objet d’un encadrement très intrusif du niveau national. De fortes tensions étaient présentes entre les pilotes nationaux et l’échelon régional. Les structures régionales remettaient en cause la légitimité des acteurs nationaux dans le pilotage du dépistage.

 

En mai 2022[3], l’Igas a fait une série de propositions à l’égard de ces dysfonctionnements afin de rendre plus efficients les dépistages organisés des cancers. Trois axes d’amélioration ont été mis en avant : le passage au numérique, la restructuration du pilotage des programmes et la précision du rôle des CRCDC sur le suivi des patientes et la mise en œuvre d’actions d’identification des espaces avec un faible taux de participation au dépistage afin d’y mener des actions particulières et d’y promouvoir l’importance de cet examen.

 

 

  • La peur et la charge mentale du diagnostic

 

94% des femmes se déclarent favorables au dépistage du cancer du sein. Néanmoins, le passage à l’acte demeure insuffisant avec un taux à moins de 50% de participation au dépistage.

 

La peur représente un autre facteur permettant d’expliquer le faible taux de participation au dépistage organisé du cancer du sein. Cette peur du dépistage est transmise de génération en génération du dépistage jusqu’à la fin de traitement, la rémission en passant par le diagnostic. Cette crainte concerne à la fois la douleur pour soi-même, pour les proches, mais également toutes les conséquences sur la carrière professionnelle et la vie intime et personnelle qu’induisent l’annonce et les traitements d’un cancer. Ces peurs, si elles sont ancrées dans l’inconscient, peuvent être mieux appréhendées par une bonne transmission de l’information par le corps médical. Outre la peur du diagnostic et de ses conséquences, différents témoignages de femmes mettent en exergue la douleur de l’examen. En ce sens, la souffrance éprouvée lors d’une mammographie permet aussi d’expliquer les taux décevants de participation au dépistage du cancer du sein. Cet examen est perçu comme une réelle épreuve pour certaines, à un tel niveau que des femmes, ayant déjà réalisé une mammographie, refusent de repasser cet examen tous les deux ans comme cela est préconisé..

 

Le faible taux de dépistage s’explique également par la charge mentale qu’entraîne un tel diagnostic. Le Pr Steven Le Gouill, Directeur de l’ensemble hospitalier de l’Institut Curie affirme en ce sens que «pendant et après les traitements, la survenue d’un cancer chez une femme est une rupture renforcée et l’impact social de la maladie est plus lourd pour elles »[4]. Une étude sur les problématiques sociétales des cancers chez la femme[5] a été réalisée pour l’Institut Curie auprès d’un échantillon de 1 500 personnes représentatif de la population française avec des résultats qui illustrent cette charge mentale chez les femmes concernées. Parmi 43% des français qui pensent qu’il existe des inégalités entre hommes et femmes atteints de cancer en matière de charge mentale et d’organisation familiale, 37% d’entre eux pensent que ces inégalités sont en défaveur des femmes. Selon l’étude VICAN 5[6] menée par l’INCa, plus de la moitié des françaises pense que les femmes atteintes de cancer ne peuvent pas retrouver la même vie professionnelle qu’avant la maladie. La charge mentale qu’entraîne un tel diagnostic décourage fortement les femmes et mères de famille à se faire dépister.

 

 

  • Le manque d’information sur le dépistage

 

Une  troisième raison du faible taux de participation au dépistage du cancer du sein peut résider dans le manque d’information sur le dépistage organisé. L’étude précitée réalisée pour l’Institut Curie démontre que 59% des jeunes entre 18 et 24 ans pensent qu’ils ne sont pas suffisamment informés en termes de prévention concernant les facteurs de risque de cancer en général. Quant aux personnes de plus de 65 ans, 67% d’entre elles s’estiment suffisamment informées. L’Institut National du Cancer réalise tous les cinq ans, un baromètre afin d’appréhender les comportements des Français face au cancer. Ce baromètre est utilisé comme un outil de pilotage des politiques de prévention. Il s’agit d’une enquête menée auprès de cinq mille personnes de 15 à 85 ans contactées par téléphone. D’après les données prodiguées par le baromètre de 2021, les Français affirment se sentir suffisamment informés sur les cancers. Néanmoins, lorsque les facteurs de risques évitables sont évoqués, les perceptions des citoyens ne s’appuient pas sur des connaissances scientifiques. À titre d’exemple, l’INCa affirme que le lien entre facteurs psychologiques et cancer est très souvent cité par les personnes interrogées, or aucune preuve scientifique n’est avérée sur ce lien. Ce baromètre met également en lumière  une forme de mise à distance du risque individuel en fonction de son propre comportement. L’enquête de 2021 fait, par ailleurs, figurer les niveaux de diplôme et de revenu des Français parmi les facteurs influant sur la perception de l’information. En ce sens, les personnes aux faibles revenus seraient davantage sujettes à se fier aux idées reçues sur le cancer, telle l’hérédité.

 

Ainsi, si la population affirme être suffisamment informée sur le cancer, ses risques et ses dépistages, les études menées montrent que ces informations peuvent s’avérer éloignées de la réalité. Ces données permettent d’interroger les dispositifs d’information et d’intervention en place. L’information est heureusement au cœur de l’action de l’OMS qui agit par des mesures d’éducation en santé publique visant à sensibiliser les femmes et leurs proches aux signes et symptômes du cancer du sein. L’objectif est de sensibiliser sur l’importance d’une détection précoce et d’un traitement rapide. Toutefois, l’éducation du public doit être associée à une éducation des professionnels de santé sur les signes et symptômes du cancer du sein de stade précoce afin que les femmes soient orientées vers des services de diagnostic.

Cette prévention par l’information est au cœur de la nouvelle politique nationale, présentée le 26 janvier 2024 par l’Assurance Maladie et l’INCa.

 

 

Quels moyens mobiliser pour favoriser la participation au dépistage du cancer du sein et lutter contre les inégalités sociales et territoriales ?

 

  • L’intérêt grandissant pour les mammobiles dans les territoires isolés

 

 

Les disparités régionales représentent un enjeu très fort de la lutte contre le cancer du sein. Santé Publique France démontre par cette carte, un très faible taux de participation au dépistage organisé en Ile-de-France (36,7%) et dans le Sud-Est (21,4%) s’agissant de la période 2020-2021. Si ces faibles taux dans de tels territoires non isolés peuvent être expliqués en partie par un recours à des dépistages individuels, cette participation reste toutefois insuffisante. En effet, selon le site Ameli, 10 à 15% de femmes se font dépister dans le cadre d’une démarche de détection individuelle pour l’ensemble du territoire national.

Afin d’assurer un accès à ce dépistage aux populations isolées des expérimentations sont mises en œuvre, parmi lesquelles se trouve la mammobile.

 

Les mammobiles sont des camions porteurs d’un appareil de mammographie permettant d’aller vers des populations éloignées des centres de radiologies. Actuellement il existe seulement deux mammobiles en France : un dans l’Hérault et l’autre dans l’Orne. Cinq projets sont en cours pour mettre en place cette expérimentation dans différentes régions : Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne, Pays de la Loire, Normandie et dans le Nord où on constate des publics plus défavorisés. D’autres régions réfléchissent à opter pour cette solution notamment l’Ile-de-France.

Résultats dans l’Hérault : Le mammobile a été mise en place il y a plus de 33 ans dans le département en relation avec le CRCDC Occitanie. En 2021 dans le cadre du dépistage organisé, 11 204 mammographies ont été réalisées par le mammobile et 36 279 dans un centre d’imagerie. Ainsi, ¼ des dépistages ont été réalisés par le mammobile permettant à plus de 10 000 femmes d’accéder au dépistage.

Résultats dans l’Orne : En moyenne 48,4% des mammographies dans ce département sont réalisées dans le mammobile. On déplore cependant, plus de « perdues de vue » parmi les femmes ayant eu le dépistage dans le mammobile que dans les centres d’imagerie. Si le mammobile semble essentiel dans ce département, le dispositif se heurte à un manque de personnel. L’examen peut être réalisé par un médecin généraliste, toutefois, seul un radiologue peut interpréter les résultats, doublant ainsi le coût pour l’Assurance Maladie. Le coût pourrait donc être moindre si un radiologue se trouvait dans le camion, toutefois cela semble compliqué de demander à un radiologue de fermer son centre d’imagerie un jour par semaine pour assurer les examens du mammobile. Les questions sont multiples pour atteindre l’équilibre financier de ce dispositif pourtant bénéfique : faut-il exiger de réaliser les trois dépistages de cancers dans ce mammobile ? Utiliser le mammobile sur des périodes courtes ? Laisser la possibilité à des manipulatrices de pratique avancée de réaliser l’examen clinique ? On pourrait également se demander si les nouvelles technologies relatives à la télétransmission ou l’intelligence artificielle ne seraient pas en mesure de rendre plus efficient ce dispositif.

 

 

  • Un nouveau système d’invitations aux dépistages organisés des cancers organisé par un arrêté du 26 janvier 2024

 

Pour pallier les disparités et difficultés susmentionnées, un nouvel arrêté publié au Journal officiel le  26 janvier 2024[7] est venu préciser les modalités du pilotage du dépistage organisé pour les cancers du sein, du col de l’utérus et du côlon. Cette réforme, inspirée des recommandations précitées de l’Igas, vise à remédier au faible taux de participation aux dépistages. Ce nouveau dispositif est présenté par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) et l’INCa le 26 janvier 2024 lors d’un point presse. La volonté est de faire de l’acte de dépistage une action qui rentre dans la routine de chacun avec pour objectif une augmentation d’1 million de personnes dépistées annuellement en 2025.

Ce nouveau pilotage est centré sur l’information du public de façon individualisée. L’évolution majeure concerne le transfert d’activité d’envoi des invitations à se faire dépister aux femmes concernées. Désormais, l’envoi des invitations à se faire dépister relève de la compétence de l’Assurance Maladie et non plus de celle des CRCDC. Pour faciliter l’invitation des populations, la CNAM utilise les données du système national des données de santé (SNDS) qui comporte les historiques des examens et traitements des personnes afin d’inviter les personnes concernées à se faire dépister. Un travail de ciblage est ainsi réalisé pour déterminer les personnes éligibles à cet examen. L’invitation au dépistage se fera par voie postale et par voie numérique pour les personnes ayant un compte Ameli. Pour cette année 2024, l’objectif est d’envoyer jusqu’à 5 millions d’invitations à se faire dépister du cancer du sein.  Si l’espace numérique Mon Espace Santé ne figure pas, pour l’instant, parmi les rouages du nouveau système, il est possible d’imaginer que cet espace pourrait devenir une source importante d’information sur le dépistage.

 

 

  • Mise en place d’actions d’ « aller vers »

 

Découlent également du nouvel arrêté des nouvelles actions visant à lisser les inégalités sociales, culturelles, économiques et géographiques. À ce titre, des transports partagés permettant d’emmener des personnes à leur rendez-vous de dépistage seront mises en place dans les régions par les ARS en fonction des besoins. En Guyane, là où le taux de dépistage est le plus faible avec seulement 21,4% de participation pour la période 2020-2021, des déplacements par bateau sont également prévus.

 

Afin de cibler les populations les plus fragiles et éloignées du système de santé, sept plateformes téléphoniques et 115 conseillers seront également chargés de joindre 1,4 million de personnes afin de les inciter à se faire dépister et les aider dans leurs démarches de prise de rendez-vous. Étant chargés du suivi des personnes ayant eu un dépistage positif, les CRCDC conservent toujours un rôle important dans ce dispositif. Ces structures régionales assurent l’accompagnement des personnes testées positives dans leurs parcours de soins et permettent de limiter le taux de femmes dites «perdues de vue » en assurant une continuité entre le diagnostic et le début du parcours de soin.

 

Des initiatives sont aussi ponctuellement prises par les établissements de santé. Le centre hospitalier de Vienne en Isère, a, par exemple, ouvert en janvier 2024, un dispositif « SOS Sein » afin d’améliorer le parcours des soins des patientes. Ce système permet aux professionnels de santé de ville d’adresser plus facilement les patientes atteintes de cancer du sein ou ayant une forte suspicion au service spécialisé du CH de Vienne via une ligne téléphonique spécifique. Ce numéro direct permet en effet l’obtention d’un rendez-vous à l’hôpital dans les 48 heures et une prise en charge rapide en fonction du diagnostic.

 

 

On constate donc que ce nouveau système de pilotage du dépistage organisé du cancer du sein centre ainsi son action sur la prévention et la communication afin d’atteindre l’objectif de 75% de participation au dépistage du cancer du sein en 2025.

 

Léa Rouyer,

Master 2 Activités de santé et responsabilités,

Université Paris Cité

[1] Définition de l’Institut National du Cancer.

[2] Résultats diffusés par Santé publique France

[3] Rapport 2021-059R de l’Inspection Générale des Affaires Sociales, publié le 30 mai 2022. Disponible sur : https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2021-059r.pdf

[4] Actualité « Journée mondiale contre le cancer » du site de l’Institut Curie, publié le 3 février 2022. Disponible sur : https://curie.fr/actualite/journee-mondiale-contre-le-cancer/cancer-au-feminin-les-impacts-sociaux-intimes-et

[5] Etude « les problématiques sociétales des cancers chez la femme », Viavoice pour l’Institut Curie, janvier 2022

[6] Rapport VICAN 5, INCa, publié en juin 2018. Disponible sur : https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/La-vie-cinq-ans-apres-un-diagnostic-de-cancer-Rapport

[7] Arrêté JORF n°0021 du 16 janvier 2024 relatif aux programmes de dépistages organisés des cancers

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