Vous l’avez sûrement déjà entendu, cette petite voix à la télé, qui dit, « Les antibiotiques c’est pas automatique » ! Au-delà d’être un slogan marquant, cette campagne cache une problématique de santé publique majeure. Aussi est-ce la raison pour laquelle, la semaine mondiale pour un bon usage des antibiotiques, campagne mondiale de santé publique de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), entend sensibiliser au phénomène mondial de résistance aux antibiotiques ainsi qu’aux bonnes pratiques liées à ces derniers.

 

Mais qu’est-ce qu’un antibiotique ? Un antibiotique est un médicament utilisé pour traiter et prévenir les infections bactériennes, telles que la pneumonie, la bronchite, les otites, la méningite, et bien d’autres. Leur découverte a constitué une étape majeure de la médecine et continue de sauver des millions de vies chaque année.

 

En 1928, Alexander Fleming, biologiste et pharmacologue britannique, a découvert l’action « antibiotique » d’un champignon appelé le Penicillium. Cette découverte a donné naissance au premier antibiotique : « La pénicilline », qui a alors largement diminué le nombre de décès par infections bactériennes, qui étaient très courantes à l’époque. Alors qu’en 1940, ces infections constituaient la première cause de mortalité, aujourd’hui, elles ne sont responsables que de 2 % des décès en France.[1]

 

Malheureusement, l’efficacité des antibiotiques est aujourd’hui menacée par différents facteurs tels que les mésusages, la surconsommation, ou encore l’automédication. Le grand potentiel thérapeutique de ces médicaments est désormais diminué, car les bactéries deviennent de plus en plus résistantes à ces derniers.

 

Dans ce contexte, l’usage actuel qui est fait des antibiotiques a d’importantes conséquences sur notre santé et notre système de soin (I). Aussi est-ce la raison pour laquelle il est aujourd’hui nécessaire d’adopter des mesures de prévention par la sensibilisation aux bonnes pratiques à suivre ainsi que des recommandations de soft law (II).

 

  1. L’usage actuel des antibiotiques et ses conséquences sur notre santé

 

La France est l’un des plus grands consommateurs d’antibiotiques en Europe. Malgré une baisse continue depuis 10 ans, il est le 4e pays consommateur européen derrière la Grèce, la Roumanie et la Bulgarie.[2]

Plusieurs phases de diminution significative ont tout de même été observées ces 20 dernières années, notamment entre 2001 et 2004, après la fameuse campagne de l’Assurance Maladie déjà évoquée “Les antibiotiques c’est pas automatique”, puis à partir de 2016 après plusieurs mesures interministérielles, en vue de maîtriser leur utilisation. Pendant la crise du Covid-19, une baisse importante des prescriptions d’antibiotiques est intervenue, en lien notamment avec la diminution des consultations médicales (et donc des prescriptions) et le respect plus systématique des gestes barrières. Ces prescriptions se sont intensifiées à nouveau en 2021 avec la reprise des infections hivernales courantes et la diminution de l’utilisation des masques et des gestes barrières. À titre d’exemple, en 2022, plus de 800 prescriptions d’antibiotiques pour 1 000 habitants ont été réalisées au cours de l’année (hors hospitalisation).[3]

 

La principale difficulté tient toutefois au fait que la surconsommation d’antibiotique va contribuer, à long terme, à l’apparition d’un phénomène d’antibiorésistance.

En effet, une résistance va survenir lorsque les bactéries évolueront en réponse à l’utilisation de ces médicaments. Certaines bactéries responsables de l’infection vont être en partie tuées par les antibiotiques, mais, celles qui subsisteront, vont s’adapter et développer des mécanismes de défense. Une bactérie pourra alors échapper à l’action d’un antibiotique, du fait d’une mutation génétique spontanée, favorisée par cette exposition. La résistance sera alors inscrite dans ses gènes et elle ne répondra plus à ces médicaments.

 

Ainsi, plus la population prendra des antibiotiques, plus le risque sera grand de faire émerger des bactéries résistantes qui rendront les traitements antibiotiques ultérieurs moins efficaces pour les patients.

 

Le phénomène mondial d’antibiorésistance touche toute personne indépendamment de leur âge, et est aussi un fait inter-espèce. En effet, lorsqu’une résistance s’est développée, elle peut être transmise à d’autres espèces par l’eau, le sol ou encore la nourriture, ce qui contribue à l’expansion du phénomène et à sa diffusion.

 

Les animaux d’élevage peuvent, par exemple, être directement traités par antibiotiques, les rendant porteurs de ces bactéries résistantes. Celles-ci peuvent ensuite être transmises à l’Homme par l’ingestion d’aliments contaminés, ou par contact direct avec les animaux. À l’inverse, les hommes peuvent aussi transmettre des bactéries résistantes aux animaux. En réponse à ce phénomène de transmission, la législation européenne a interdit depuis 2006 l’utilisation des antibiotiques comme facteurs de croissance chez les animaux de rente, ce qui a réduit le niveau d’exposition aux antibiotiques des productions animales, et par voie de conséquence, des humains qui les consomment.[4]

 

Cette résistance a de nombreuses conséquences en matière de santé publique. Tout d’abord, elle a des répercussions sur l’organisation de notre système de santé en prolongeant les hospitalisations dues à des maladies plus longues et difficiles à traiter. Ensuite, elle augmente les dépenses médicales associées, car ces maladies résistantes nécessitent plus de consultations médicales et l’utilisation de médicaments plus puissants et plus chers. Ainsi, le surcoût lié aux infections à bactérie résistante s’élève à 1100 € en moyenne par séjour hospitalier, ce qui conduit à estimer pour l’ensemble de la population, un surcoût annuel de près de 290 millions d’euros.[5] Ce coût très important pèse dès lors sur notre système de sécurité sociale.

 

Enfin, cette résistance entraîne une hausse de la mortalité. Selon des projections récentes de l’OCDE, les infections résistantes aux traitements antibiotiques pourraient tuer 2,4 millions de personnes en Europe, en Amérique du Nord et en Australie entre 2015 et 2050 si l’on ne redouble pas d’efforts pour enrayer l’antibiorésistance. En France, d’ici 2050, on estime que 238 000 personnes pourraient succomber des suites de ce phénomène.

 

Le constat d’une telle urgence a amené l’Etat français à mener une politique de maîtrise de l’antibiorésistance depuis les années 2000. Plusieurs plans ministériels se sont succédé depuis : deux plans nationaux en vue de préserver l’efficacité des antibiotiques (entre 2001 et 2005, puis entre 2007 et 2010) et un plan national d’alerte sur les antibiotiques (entre 2011 et 2016). Dans le prolongement de ces différents plans, une concertation publique, lancée en novembre 2023, dresse une nouvelle feuille de route interministérielle, intitulée « Prévention et réduction de l’antibiorésistance, lutte contre la résistance aux antimicrobiens », publiée en septembre 2024. Les objectifs stratégiques de cette lutte s’articulent autour de plusieurs axes majeurs : l’engagement de chacun des acteurs dans cette lutte, le développement d’une stratégie pérenne de sensibilisation, la formation et la communication ainsi que le développement de la recherche en vue de mieux comprendre ce phénomène.

 

En parallèle de cette feuille de route et des plans intersectoriels qui lui ont précédé, le Ministère chargé de la Santé a présenté la « Stratégie nationale 2022-2025 de Prévention des Infections et de l’Antibiorésistance ». Cette stratégie est pilotée au niveau national par la Mission ministérielle de Prévention des Infections et de l’Antibiorésistance (MMPIA), ainsi que par un comité national de pilotage, Prévention des Infections et de l’Antibiorésistance (COPIL PIA). Ce dernier est un organe de décision et de suivi de la mise en place et de l’évaluation des différentes mesures. Aucune mesure contraignante n’apparaît véritablement dans ces plans, les deux piliers de cette stratégie nationale étant d’une part, la poursuite d’actions de prévention et, d’autre part, la promotion du bon usage des antibiotiques.

 

  1. Une prévention qui passe par la sensibilisation aux bonnes pratiques à adopter

 

Afin de sensibiliser les citoyens aux bonnes pratiques à adopter, il convient tout d’abord de dépasser un certain nombre d’idées reçues qui persistent sur les antibiotiques. La communication doit ainsi être intensifiée sur certains points :

 

– Plus de 77% des Français pensent que les antibiotiques présentent une efficacité en cas de bronchite aiguë ; plus de 65% en cas de bronchiolite ; 55% en cas d’angine virale et 53% en cas de grippe. Toutefois, les antibiotiques sont pourtant inefficaces sur de telles infections de nature virale ;

 

– Plus d’un Français sur deux pense qu’il est recommandé de prendre des antibiotiques pour un mal de gorge (alors que plus de 80% des angines sont virales) et 50% d’entre eux estiment que les antibiotiques permettent de se remettre plus vite sur pied. Cependant, les infections bénignes ne justifient toutefois pas la prise d’antibiotiques. Bien au contraire, ces petites maladies renforcent le système immunitaire et guérissent spontanément. Il suffit d’utiliser des médicaments contre la fièvre et si nécessaire, contre la douleur ;

 

– Enfin, 44% des Français considèrent qu’il est préférable de prendre des antibiotiques lorsque l’on veut retourner rapidement au travail.[6]

 

Il semble, en outre, essentiel de rappeler que l’automédication est à bannir des habitudes. Toute prise d’antibiotique doit être précédée d’une prescription médicale avec une durée de traitement la plus courte possible. Par ailleurs, il convient également d’attirer l’attention sur la nécessité de respecter strictement le cadre d’usage défini par la prescription, qui est au demeurant adaptée à une situation propre. À ce titre, il ne faut pas interrompre le traitement en cas d’amélioration de l’état de santé. Enfin, un traitement n’a pas vocation à être partagé, car chaque prescription est adaptée à une personne et une situation définie.

 

Ce constat d’un usage abusif et inapproprié des antibiotiques s’explique donc par une profonde méconnaissance de ses propriétés et de sa bonne utilisation.

 

Pour aider les citoyens à bien utiliser les antibiotiques, une plateforme en ligne appelée « Antibio’ Malin » a été créée en 2019. Il s’agit d’un espace thématique contenant des informations pratiques à destination de tous. Cet espace développé par le Ministère chargé de la Santé a pour but d’améliorer les connaissances liées à ces médicaments. Les informations y sont présentées de façon vulgarisée, sous forme de courtes fiches pratiques. Ces fiches n’ont pas vocation à remplacer l’avis d’un professionnel de santé, mais à donner des conseils pratiques informatifs sur leur bonne utilisation. Ce site est néanmoins encore trop peu consulté, du fait d’une faible communication à son sujet.

 

D’autres mesures de communication ont rencontré plus de succès, comme certaines de ces campagnes de sensibilisation :

 

– L’apparition d’un premier slogan en 2002 grâce à l’Assurance maladie : « Les antibiotiques c’est pas automatique ». Cette publicité, qui a marqué les esprits, a permis, entre 2011 et 2019, de faire baisser le nombre de prescriptions d’antibiotiques d’environ 2,4% par année. Il s’agissait en effet d’une belle réussite médiatique tant le message s’est répandu chez les médecins et leurs patients.

 

– Un second slogan a été lancé en 2018 par le Ministère de la santé : « Les antibiotiques : ils sont précieux, utilisons les mieux ». Ce « gimmick »[7] avait vocation à inciter chacun à limiter sa consommation d’antibiotiques, notamment dans un contexte de pénurie de plus en plus pesant.

 

– Enfin, dans le cadre de la « Stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance », Santé publique France, une agence ayant une fonction d’expertise et de conseil en matière de prévention, d’éducation pour la santé et de promotion de la santé, a lancé une troisième campagne de sensibilisation en 2023 en collaboration avec l’Assurance maladie : « Les antibiotiques, bien se soigner, c’est d’abord bien les utiliser ». Cette campagne a permis de rappeler plusieurs mésusages[8] en mettant en scène par des infographies enfantines, des personnages comme Zoé : « Zoé peut vous le confirmer les antibiotiques, ça ne marche pas contre sa bronchite » ou encore Thierry : « Thierry peut vous le confirmer les antibiotiques, ça ne marche pas contre sa grippe ».

 

Néanmoins la sensibilisation au bon usage des antibiotiques ne doit pas exclusivement se faire en faveur des utilisateurs mais également des praticiens prescripteurs. Dans ce cadre, la Haute Autorité de Santé (HAS), en partenariat avec la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) et le Groupe de pathologie infectieuse pédiatrique (GPIP), met à disposition des professionnels de santé des fiches de bonnes pratiques pour les guider dans leur travail de prescription. L’idée est notamment de favoriser les durées d’antibiothérapies les plus courtes possibles, au regard des infections bactériennes répandues en ville.

 

Ces fiches permettent ainsi un meilleur accompagnement des professionnels dans cette lutte contre l’antibiorésistance. Le respect de ces recommandations devrait ainsi conduire à une réduction des prescriptions, et permettrait au demeurant de limiter des problèmes de pénurie, notamment lors des épidémies hivernales.

Il convient toutefois de rappeler que les recommandations de la HAS n’ont pas de caractère impératif[9]. Elles influent néanmoins sur les pratiques et sont des décisions susceptibles de faire grief[10]. Les praticiens peuvent par ailleurs être condamnés s’ils ne les respectent pas, car les recommandations de la HAS font partie des données acquises de la science[11].

 

Aujourd’hui, il nous faut préserver l’efficacité des antibiotiques en améliorant leur utilisation et en évitant leur mésusage. Il s’agit d’une réelle priorité ainsi qu’un enjeu majeur de santé publique pour les générations actuelles et aussi futures.

 

Madly Masson

Master Droit des industries des produits de santé

[1] « Les antibiotiques sauvent des vies », sante.gouv.fr, 2 novembre 2023.

[2] Antimicrobial consumption in the EU/EEA (ESAC-Net) – ECDC 2021

[3] Santé publique France, rapport « Consommation d’antibiotiques en secteur de ville en France 2012-2022.

[4] Rapport « Interdiction des antibiotiques comme facteurs de croissance dans les aliments pour animaux », Bruxelles 22 décembre 2005.

[5] Chiffres de l’Institut Pasteur en 2019

[6] Chiffres de Santé publique France 2022.

[7] Le mot « Gimmick » est un anglicisme désignant un procédé astucieux, destiné à provoquer un effet marquant (en musique, publicité…), Dictionnaire Le Robert 2025.

[8] Le ministère de la santé a reconnu cette notion en 2016 comme étant « Une utilisation intentionnelle et inappropriée dun médicament ou dun produit, non conforme à lautorisation de mise sur le marché ou à lenregistrement, ainsi quaux recommandations de bonnes pratiques. » sur son site santé.gouv.fr.

[9] On parle de soft law, défini comme « un ensemble disparate de dispositifs dorigines diverses (directives, circulaires, recommandations, déclarations, résolution, guides de déontologie, codes de conduite…) qui ont en commun de ne pas avoir de valeur normative impérative, n’étant créateur ni de droits ni dobligations, mais qui nen exercent pas moins une influence régulatrice sur les comportements en cause. » (Dalloz bibliothèque lexique des termes juridiques 2025).

[10] CE 27 avril 2011, Association pour une formation médicale indépendante, req. n°334396.

[11] ibidem.

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