En 2024, l’Institut de la Neurodiversité a collaboré avec le Département de la communication globale des Nations Unies pour la célébration de la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme. Chaque personne entendue provenait d’une région du monde différente et s’est exprimée sur l’expérience de vie d’une personne autiste. Ces interventions ont permis de souligner les disparités et spécificités régionales ainsi que leur impact.
Ainsi, chaque année depuis 2007, le 2 avril, le monde entier se mobilise pour sensibiliser à l’autisme. L’objectif premier de cette journée est d’accroître la compréhension et promouvoir l’inclusion des individus concernés par ce trouble. Il s’agit de leur donner une voix et de se montrer à leur écoute afin de déconstruire de nombreuses idées reçues qui entourent l’autisme mais également de faire connaître les symptômes et les possibilités de suivi aux individus concernés et à leur famille. Encore faut-il comprendre de quoi parle-t-on lorsqu’on évoque l’autisme ou plus spécifiquement le trouble du spectre de l’autisme.
Aussi, à l’occasion de cet article, nous explorerons d’abord brièvement ce qu’est ce trouble qui concernerait 700 000 français en 2025[1]. Nous étudierons à ce titre les évolutions terminologiques et les écueils de compréhension autour de l’autisme. Puis, nous nous intéresserons aux voies d’accès à un diagnostic et aux aides dont peuvent bénéficier les personnes autistes.
Qu’est-ce que l’autisme ?
Selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5)[2], l’autisme est un trouble du neurodéveloppement (TND) qui touche une partie de la population mondiale, sans distinction d’ethnie, d’éducation ni d’environnement. Étant de nature neurologique, il s’agit donc d’un trouble présent dès la naissance et qui ne disparaît ni avec l’âge, ni avec un traitement médicamenteux.
Les terminologies et la technicité de ce trouble (et non maladie ![3]) ont beaucoup évolué depuis sa découverte au milieu du XXe siècle.
L’autisme est aujourd’hui reconnu comme un spectre et a à ce titre changé d’appellation, ce qui implique qu’il y a différentes « manières » d’être autiste/différentes couleurs à l’autisme. Autrement dit, il n’existe pas d’archétype de l’autisme, bien que le trouble s’accompagne de symptômes communs[4] pour ceux qui sont concernés.
En quoi l’autisme relève-t-il d’un spectre ?
Il faudrait identifier le spectre comme une expression des différentes manifestations du trouble selon les individus chez qui il existe. Plus spécifiquement, selon les individus autistes, les difficultés relevant de chaque domaine symptomatique[5] se manifestent différemment et de manière plus ou moins prononcée. Toutefois, et c’est en cela que réside la distinction avec un individu alliste (terme qui désigne toute personne non autiste), la difficulté existe dans chacun de ces deux grands domaines pour toute personne autiste. Il faut donc comprendre que c’est la variation de l’intensité des difficultés selon le domaine symptomatique qui explique l’assimilation de l’autisme à un spectre.
En réalité, il ne s’agit donc pas d’un spectre au sens d’un panel de possibilités linéaire selon deux pôles qui seraient deux extrêmes opposés avec d’un côté le monde alliste et de l’autre le monde autiste. Cette vision très répandue de l’autisme depuis la diffusion de l’idée d’un spectre est problématique dans la mesure où elle peut donner suite à une interprétation erronée de ce trouble. En effet, l’écueil principal est d’imaginer qu’il y ait des individus plus « sévèrement » ou « légèrement » autistes que d’autres alors même qu’ils sont tous sur le spectre et font face aux mêmes difficultés, à ceci près que chaque individu fait l’expérience de ce trouble de manière unique.
Le danger d’une telle interprétation se manifeste par l’idée que certains individus autistes n’ont pas du tout besoin d’assistance car se rapprochent de la « norme » neurologique ou neurotypique. Cette idée représente un danger pour les personnes autistes, notamment celles qui ont des besoins d’assistance moins importants et des capacités de “masking”[6] plus élevées. Le masking – ou capacité à masquer – est un concept dérivé du terme anglais qui signifie « porter un masque ». Autrement dit, c’est la capacité des individus neurodivergents comme ceux sur le spectre de l’autisme, à camoufler des symptômes ou des difficultés liées à leur handicap. Le handicap devient alors, totalement ou presque, imperceptible aux yeux des pairs. Cette capacité se développe selon différents facteurs : la capacité de l’individu à mimer et à intégrer des comportements, par exemple. Quels que soient les besoins d’assistance et d’aménagements possiblement importants de l’individu autiste, cette pratique souvent inconsciente se révèle anxiogène et très énergivore. Enfin, les individus autistes ayant des difficultés à masquer leurs symptômes, notamment en milieu social comme dans un environnement professionnel, peuvent être victimes de discrimination.
Ainsi, depuis 2013, le « syndrome d’Asperger »[7] a disparu du DSM-5. Cette évolution a fait l’objet de beaucoup de controverses parmi les professionnels de santé et parmi certains individus diagnostiqués comme tels. La logique sous-jacente visait à supprimer la confusion entre ce syndrome et le reste des individus diagnostiqués avec un trouble de l’autisme[8] tout en promouvant une approche intégrative sans sous-catégorisation du trouble autistique. A ce titre, l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) a reconnu dans la CIM-11[9] la suppression du syndrome d’Asperger. En outre, ce retrait a entraîné l’émergence de deux positionnements parmi les individus autistes et au sein du corps médical. Certains ne se qualifient plus comme Asperger car considèrent que cela encourage l’idée selon laquelle certains autistes sont plus profitables à la société que d’autres, notamment car ils témoignent d’intérêts spécifiques utiles[10] à la société. Bien que le lien soit quelque peu préoccupant, il n’est pas à exclure qu’Hans Asperger a exercé dans un contexte qui s’enracine dans l’époque nazie pendant laquelle les personnes autistes étaient triées et hiérarchisées selon un idéal de sélection des individus considérés comme « non conformes » ou « anormaux ». La psychiatre anglaise Lorna Wing qui a repris ses écrits en 1981 a ainsi pensé ce syndrome comme un trouble distinct du spectre autistique tel qu’on l’envisage aujourd’hui[11].
La récente disparition de cette terminologie fait donc débat : certains pensent qu’elle fait du spectre une catégorie trop vaste tandis que d’autres retiennent qu’elle limite la classification discriminatoire des personnes autistes. En effet, beaucoup gardent en mémoire que le terme Asperger a participé historiquement à la stigmatisation de certains autistes, notamment lorsque leurs capacités intellectuelles étaient jugées insuffisantes. Son effacement évite ainsi une classification dommageable pour les personnes autistes exclues de cette terminologie. A noter toutefois qu’il existe encore aujourd’hui des mentions du terme « asperger » ou « aspie », qui est une version diminutive, par de nombreuses personnes et associations, au sens du terme avant sa suppression du DSM-5.
Comment le droit agit et protège cette catégorie de personnes jugée vulnérable ?
Une autre difficulté pour les personnes sur le spectre de l’autisme relève de l’accès difficile à une reconnaissance de handicap et au maintien de cette reconnaissance.
Il existe en effet, plusieurs modes d’obtention d’un diagnostic : il peut être posé soit par un professionnel de santé libéral, soit par un Centre de Ressources Autisme (CRA)[12] de manière gratuite. Ces deux voies de diagnostic peuvent néanmoins générer des obstacles. Pour la première de ces deux voies, la difficulté relève de son coût élevé estimé en moyenne à plusieurs centaines d’euros tandis que pour la voie gratuite en CRA, les délais d’attente très longs rendent la procédure complexe.
Dans les deux cas, le diagnostic se fait à l’issue d’un bilan neurologique et cognitif complet mené par une équipe pluridisciplinaire. La procédure est plus complexe en cas de diagnostic tardif et nécessite la présence d’un parent ou d’un adulte présent dans l’enfance. Cela s’explique par la persistance des symptômes depuis les stades précoces de développement et leur impact sur le fonctionnement classique de la personne dans sa vie quotidienne. Plus simplement, ces symptômes doivent être « handicapants ».
L’accès à un diagnostic et par conséquent à des aides mais également à un suivi régulier est donc très limité pour certaines personnes. Ainsi, il est absolument essentiel de sensibiliser les populations et d’informer afin que les tests et les bilans neuro-cognitifs soient réalisés plus fréquemment. Il s’agit de les rendre plus simples d’accès à toutes les familles dès l’enfance. Cette possibilité apporterait une solution à l’adversité qui entoure le diagnostic, souvent accru selon le milieu socio-économique et le genre de la personne concernée. Il est crucial de souligner les difficultés de reconnaissance des symptômes, notamment chez les femmes ou chez les petites filles qui apprennent à masquer leurs symptômes plus tôt que les garçons. Elles sont en conséquence parfois diagnostiquées tardivement à l’adolescence voire à l’âge adulte. Cet écart de diagnostic[13] entre les garçons et les filles pourrait s’expliquer par une socialisation genrée et patriarcale, mais aussi par la socialisation selon le capital social. Pour reprendre et appliquer à la psychologie les travaux du sociologue Pierre Bourdieu[14], le cadre social est un facteur déterminant de l’accès à un diagnostic. La socialisation différenciée selon le genre est alors une des causes du haut niveau de masking des jeunes filles dès l’enfance du fait de la pression sociale qui les entoure[15]. Il est en effet fréquent d’exiger d’une fille de savoir communiquer de manière tacite, d’attendre d’elle qu’elle témoigne plus d’empathie qu’un garçon, qu’elle applique plus rigoureusement les normes et valeurs sociales telles que la politesse. Ce biais de genre pourrait expliquer pourquoi certains symptômes passent inaperçus chez les petites filles et sont plus aisément remarqués chez les petits garçons. En outre, une grande partie de la population autistique souligne la nécessité de recherche sur les symptômes et manifestations de l’autisme chez les femmes.
Une fois le diagnostic officiel posé, une possibilité de créer un dossier auprès d’une MDPH (maison départementale pour les personnes en situation de handicap) existe alors. L’obtention d’un tel dossier permet l’attribution ou le renouvellement de prestations indemnitaires telle que l’Allocation aux adultes handicapés (AAH) et de la reconnaissance de qualité de travailleur handicapé (RQTH)[16]. Là encore, les MDPH sont très sollicitées et les délais d’attente peuvent être très longs, évalués en mois ou années selon le département. Les personnes diagnostiquées avec un TSA ayant souvent besoin de suivi psychologique ou psychiatrique, peuvent solliciter des voies moins onéreuses comme les CMP (centres médico-psychologiques). A noter que ce genre de structures est d’autant plus importantes que les aides comme l’AAH n’ont pas un montant très élevé et qu’il y a beaucoup de comorbidités[17], c’est-à-dire des pathologies fréquemment associées telles que l’anxiété, le trouble obsessionnel compulsif, troubles digestifs[18] ou autres troubles psychiatriques.
Anna DIOUF
M2 ASR, Université Paris Cité.
[1] Donnée de l’Association Planète Autisme.
[2] Il s’agit d’un manuel de l’Association américaine de psychiatrie (American Psychiatric Association) dont la dernière version date de 2013 et est venue remplacer l’édition de 2000.
[3] Le DSM-5 classe les TSA parmi les troubles du neurodéveloppement et non les maladies mentales.
[4] « Les critères diagnostiques actualisés par le DSM-5 sont définis dans deux dimensions symptomatiques qui sont :
- les déficits persistants de la communication et des interactions sociales observés dans des contextes variés ;
- le caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts ou des activités.” Haute Autorité de Santé, 2018.
[5] Ces deux grands domaines sont ceux de la note précédente (3).
[6] terme d’origine anglaise qui désigne la capacité à masquer les symptômes d’un trouble.
[7] Le syndrome d’Asperger est une forme d’autisme sans déficience intellectuelle ni retard de langage.
[8] “Le syndrome d’Asperger, handicap invisible”, article publié à la Revue d’information sociale.
[9] Classification Internationale des Maladies par l’OMS, 2019.
[10] Le ou les intérêt(s) spécifique(s) sont une des caractéristiques intégrée aux comportements répétés et intérêts restreints caractéristiques du TSA. Dans l’illustration ci-dessus, il s’agit d’intérêts spécifiques portant sur les sciences ou les mathématiques par exemple.
[11] Wing L. Asperger’s syndrome/a clinical account. Psychological Medicine.
[12] Structure médico-sociale publique destinée aux personnes présentant un TSA.
[13] Le fait que les femmes autistes soient sous-diagnostiquées a fait l’objet de nombreux articles et le DSM-5 estime qu’il y aurait 4 hommes diagnostiqués pour 1 femme en 2013.
[14] Théorie du capital social, Pierre Bourdieu.
[15] Unmasking Autism, The power of embracing our hidden neurodiversity de Devon Price.
[16] Code de la Santé Publique, Article L821-7-3 : « Une procédure de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé mentionnée à l’article L. 5213-2 du code du travail est engagée à l’occasion de l’instruction de toute demande d’attribution ou de renouvellement de l’allocation aux adultes handicapés ».
[17] Association Maison de l’Autisme : « Les troubles associés en cas de TSA sont très fréquents. Leur prise en compte sur le plan diagnostique et thérapeutique peut considérablement améliorer la qualité de vie des personnes autistes concernées et de leurs proches ».
[18] Fondation pour la Recherche médicale.