Issue d’une recommandation de l’assemblée générale de l’ONU de 1954, la journée internationale des droits de l’enfant est « consacrée à la fraternité mondiale et à la compréhension entre les enfants à travers le monde ». (Résolution 836).

 

La date du 20 novembre est celle de l’adoption par cette même assemblée de la Déclaration des droits de l’enfant en 1959 et de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), aussi appelée « Convention de New York », en 1989. Ces textes constituent un dispositif protecteur pour de nombreux enfants en ce que notamment la CIDE consacre la notion de l’« intérêt supérieur de l’enfant » et lui reconnaît des droits fondamentaux tels que la protection de sa santé. Les enfants de 197 Etats sont concernés.

 

Malheureusement, l’effectivité des droits des enfants n’est pas garantie de la même manière dans tous les Etats signataires. Depuis le 7 octobre 2023, plus de 3 000 enfants seraient décédés dans la Bande de Gaza et 29 en Israël[1]. En 2021, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) alertait également sur les difficultés nutritionnelles auxquelles sont confrontés de nombreux enfants en Afrique. L’Europe connaît quant à elle une tendance à la dégradation de la santé mentale de ses jeunes notamment depuis la crise sanitaire liée au virus du Covid-19.

Cet article sera plus spécialement l’occasion d’aborder la question de la prise en charge médicale en France des mineurs non accompagnés (MNA). Tout d’abord en proposant un rappel des solutions juridiques qui leur sont applicables (I) puis en faisant état des dispositifs sociaux dont ils peuvent bénéficier ce qui sera l’occasion d’aborder les débats d’actualité sur la restriction de l’Aide Médicale d’Etat (AME) (II).

 

  1. Panorama juridique de la prise en charge des mineurs non accompagnés en France

 

  • Récapitulatif de la procédure d’accueil d’un MNA

Le MNA, auparavant nommé « mineur isolé étranger » (MIE), est un enfant de moins de dix-huit ans, de nationalité étrangère, arrivé sur le territoire français sans être accompagné par l’un ou l’autre des titulaires de l’autorité parentale ou par un représentant légal.

La prise en charge de l’hébergement, des soins et de la scolarisation des MNA est de la compétence des départements. Certains jeunes subissent un refus de guichet illégal, une pratique consistant à refuser de recevoir les jeunes avant tout examen de leur situation. Pour les autres, un rendez-vous doit être programmé dans les cinq jours qui suivent leur arrivée. Dans la pratique, ce délai peut parfois s’allonger jusqu’à trois semaines, voire trois mois, selon les départements. Les enfants sont donc maintenus en zone d’attente de façon bien moins exceptionnelle que ce qui est prévu à l’article L.351-2 du CESEDA (Code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) et leur vulnérabilité, à l’instar de leur insécurité psychique, est accrue durant cette période.

Quand le mineur est pris en charge, une première évaluation de son état de santé et de ses besoins essentiels est réalisée par un professionnel de santé à l’occasion d’un entretien d’urgence. Cet entretien est souvent réalisé de façon expéditive, en moins de trente minutes, et sans interprète. Le gouvernement a d’ailleurs publié en 2022 un guide d’évaluation des premiers besoins de santé pour ces mineurs dans lequel il recommande la présence d’un interprète et d’un professionnel de santé formé aux questions migratoires et/ou à la prise en charge d’un mineur[2].

Les jeunes reconnus comme étant mineur, la question de la détermination de leur âge posant souvent problème, sont pris en charge par les services d’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), ce placement ayant une incidence sur les remboursements dont ils pourront bénéficier de la part de la sécurité sociale.

 

  • Les difficultés de la France à faire face à l’afflux important de MNA

En France, le nombre de MNA augmente depuis 2020. Selon le rapport de la Mission nationale mineurs non accompagnés (MMNA) du ministère de la Justice remis le 8 octobre 2023, 14 782 MNA ont été pris en charge par l’ASE en 2022, soit 30,64% de plus par rapport à l’année 2021. Ces mineurs proviennent en majorité de la Côte d’Ivoire (17,61%) de la Guinée (17,30%) et de la Tunisie (10,68%).

L’article 20 de la CIDE leur reconnaît un droit à « une protection et une aide spéciale de l’Etat » et la circulaire du 25 janvier 2016 relative à la mobilisation des services de l’Etat auprès des conseils départementaux concernant les MNA[3] rappelle leur droit à une prise en charge « prenant en compte à la fois les spécificités liées à leur parcours migratoire (…) et leurs besoins particuliers, inhérents à leur statut d’enfant ».

La France rencontre cependant de nombreuses difficultés à assurer leur prise en charge médicale dans son acception sanitaire et psychique. En outre, la problématique des déserts médicaux s’applique également à eux. En fonction du département d’accueil, la prise en charge dont ils bénéficieront ne sera donc pas la même.

La loi Taquet du 7 février 2022 relative à la protection des enfants[4] visait notamment à faire face à ces difficultés. Cette loi n’a cependant pas encore produit tous ses effets étant donné que seul cinq décrets, sur les dix nécessaires pour permettre son entière application, ont été publiés. En outre, l’augmentation importante de l’accueil de nouveaux MNA sur le territoire français a renforcé la tension exercée sur les dispositifs départementaux ce qui oblige le recours à l’hébergement dans des hôtels ni décents ni adaptés. L’interdiction du recours à ce type de logements prévue par la loi Taquet risque dès lors de ne pas être respectée.

 

  • L’état de santé des MNA et leur prise en charge médicale

Quand le mineur a la chance de bénéficier d’une prise en charge médicale, les médecins constatent souvent que leurs pathologies sont multiples. Il s’agira tout d’abord de celles repérées régulièrement sur les personnes migrantes telles que la tuberculose. Mais aussi de séquelles liées à la fois à leur parcours, souvent marqué par des violences et des abus sexuels, et à leurs conditions d’hébergement à leur arrivée en France.

 

S’agissant de la prise en charge de leur santé mentale, la Défenseure des droits, Claire HEDON, recommande de renforcer la formation des équipes en charge des évaluations d’urgence et du suivi des MNA à l’appréhension des troubles psychiques et au repérage des symptômes de stress post-traumatique ainsi que d’envisager le recrutement de psychologues. Ces recommandations vont dans le même sens que les constats faits par Jean-Luc Rongé, président de DEI-France [5], qui dénonce « l’ignorance quasi-générale des traumatismes que ces enfants ont pu subir avant, pendant et après leur parcours migratoire » [6].

L’association Médecins sans frontières et le Comed (Comité pour la santé des exilés) ont publié un rapport à ce propos le 10 novembre 2021 intitulé « La santé mentale des mineurs non accompagnés – Effets des ruptures, de la violence et de l’exclusion ». Parmi les jeunes suivis par les psychologues de ces deux associations entre 2017 et 2020, 50% sont atteints de troubles réactionnels à la précarité, 12% de dépression et 37% de syndromes psycho traumatiques. Les deux associations appellent donc à une politique plus volontariste des acteurs politiques et institutionnels pour remédier à cette situation et à la création de lieux de soins pluridisciplinaires dédiés aux exilés de 12 à 25 ans.

Après ce rappel des règles législatives et règlementaires applicables aux MNA, peuvent être plus spécialement évoqués les dispositifs sociaux permettant d’assurer leur prise en charge médicale, ce qui sera l’occasion d’aborder l’actuel débat de la restriction de l’Aide Médicale d’Etat (AME).

 

  1. Les dispositifs sociaux permettant d’assurer la prise en charge médicale des mineurs non accompagnés

 

  • L’AME pour les MNA

L’AME, créée en 2000, a toujours fait débat et est à nouveau au cœur de l’actualité. Ce dispositif permet aux étrangers, en situation irrégulière ayant des revenus inférieurs à certains seuils et résidants depuis plus de trois mois sur le territoire français, de bénéficier d’une prise en charge de soins médicaux et hospitaliers dans la limite des tarifs fixés par la sécurité sociale.

Une décision du Conseil d’Etat de 2006 rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré notamment à l’article 3-1 de la Convention des droits de l’enfant, interdit que les MNA « connaissent des restrictions dans l’accès aux soins nécessaires à leur santé »[7]. Ils peuvent à ce titre bénéficier de l’AME et ce sans délai. Malheureusement, l’accès à l’AME n’est pas simple. Il est réservé à ceux qui ne sont pas sous mesure de protection, soit parce qu’ils ont reçu un rejet de l’Aide Sociale d’Etat, soit parce qu’ils sont dans l’attente d’une mesure.

Le mineur non accompagné devra s’adresser à la caisse primaire d’assurance maladie du ressort de laquelle il relève et justifier d’une domiciliation. Or, les MNA sont bien souvent à la rue et les Centres Communaux d’Action Sociale (CCAS) ne leur accordent pas toujours une domiciliation. Les associations leur permettent souvent d’accomplir cette formalité mais cela ne donnera pas pour autant aux MNA le bénéfice de tous les soins dont ils pourraient avoir besoin.

 

Une autre difficulté peut être relevée dans le fait qu’en cas d’acte médical réalisé sur un mineur, le professionnel de santé doit recueillir le consentement des titulaires de l’autorité parentale ce qui est impossible le cas d’un MNA. Une exception est heureusement prévue par le Code de la santé publique (CSP), un MNA bénéficiant de la CMU pouvant consentir seul à l’acte médical. Cette exception n’est malheureusement pas étendue à l’AME ce qui induit une restriction des soins que le professionnel pourra réaliser, à priori limités aux soins d’urgence. Une instruction ministérielle de 2018 est cependant venue préciser qu’il est possible de se dispenser d’obtenir le consentement des titulaires de l’autorité parentale « lorsque l’action de prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement ou l’intervention s’impose pour sauvegarder la santé » du mineur.

 

  • La PUMa pour certains MNA

Le MNA sous protection, confié à l’ASE ou à la protection judiciaire, peut bénéficier de la PUMa qui est un dispositif de la sécurité sociale plus aisé à mobiliser. Créée en 2016, elle permet aux personnes qui travaillent ou résident en France de façon stable et régulière d’être couvertes par l’assurance maladie. Les services de l’ASE devraient faire le nécessaire pour que les MNA qu’ils prennent en charge bénéficient de la PUMa mais tel ne semble pas être le cas selon l’association Médecins du monde. Cette association dénonce les dégâts de l’ « absence de référent éducatif »[8] informant les mineurs sur leurs droits en matière de santé. Cette méconnaissance aboutit au pire à un renoncement aux soins, au mieux à un retard dans la prise en charge médicale.

 

  • La restriction de l’AME et les MNA

La partie du projet de loi sur l’immigration prévoyant une restriction de l’AME, adoptée le 10 novembre 2023 par le Sénat, concerne aussi les MNA. Un passage de l’AME à l’Aide Médicale d’Urgence (AMU) conduirait à ne prendre en charge que les pathologies urgentes. Il faut rappeler qu’en pratique, tel est déjà le cas pour les MNA en raison de l’application de l’exigence de droit commun du recueil du consentement des titulaires de l’autorité parentale.

Néanmoins, des pathologies qui ne sont pas prises en charge immédiatement s’aggravent et lorsqu’elles atteignent un tel statut d’urgence elles coûtent plus cher au système de santé français. On peut donc se demander s’il ne serait pas préférable d’élargir l’exception de recueil de consentement prévue pour la CMU à l’AME. Dans l’hypothèse d’un passage à l’AMU, ce ne sera pas le cas. Au contraire, l’urgence deviendra la seule hypothèse de prise en charge pour tout le monde et non uniquement les mineurs.

 

Yuna PERAN

M2 Droit de la santé, parcours activités de santé et responsabilités

 

[1] Chiffres en date de novembre 2023 donnés par l’ONG « Save the children » et l’UNICEF.

 

[2] « Guide de bonnes pratiques, première évaluation des besoins en santé au cours de la période d’accueil provisoire d’urgence des personnes se déclarant comme mineures et privées de la Protection de leur famille ».

[3] Circulaire interministérielle du 25 janvier 2016 relative à la mobilisation des services de l’Etat auprès des conseils départementaux concernant les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et leurs personnes se présentant comme tels (NOR : JUSF1602101C).

[4] Loi n°2022-140 du 7 février 2022.

[5] DEI-France est la section française de l’ONG Défense des Enfants International.

[6] Jean-Luc Rongé, « Les « mineurs isolés étrangers » (MIE) deviennent des « mineurs non accompagnés » (MNA) – Que tout change… pour que rien ne change ! », 2016/8 (N°358-359-360), pages 20 à 42.

[7] CE, 7 juin 2006, n°285576

[8] Dr Jean-François CORTY, Dr Christian DEROSIER, Caroline DOUAY, « Mineurs isolés : état de santé», JDJ n° 338-339, oct.-nov. 2014, p. 92.

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