Journée mondiale de visibilité des personnes intersexes

 

Drapeau de la fierté intersexe

Le 26 octobre 1996, lors du congrès de l’Académie américaine de pédiatrie à Boston des personnes intersexes qui devaient donner leur témoignage sur les chirurgies qu’elles avaient subies enfant ont été reçues avec hostilité par les médecins. Une manifestation de protestation s’est alors formée et ce jour est devenu celui de la communauté. La date anniversaire a commencé à être fêtée en 2003 en parallèle de l’émergence croissante dans le débat public des difficultés auxquelles font face les personnes intersexes, sous l’impulsion d’associations comme le Collectif Intersexe et Allié.e.s (C.I.A.) en France.

La considération assez timide, quoique plus importante ces dernières années, de la cause intersexe s’explique en partie par la définition complexe des contours de l’intersexualisme. La terminologie en est un aspect important en ce qu’elle permet d’appréhender un sujet peu intelligible pour les personnes non-concernées qui ne sont pas familières du langage médical, tout en montrant les enjeux du vocabulaire utilisé.

Selon le Haut-commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies, « Les personnes intersexes sont nées avec des caractères sexuels (génitaux[1], gonadiques[2] ou chromosomiques[3]) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins. » En France, le Conseil Consultatif National d’Ethique (CCNE) considère les personnes intersexes comme des « personnes ayant des variations du développement sexuel », définition adoptée en Suisse[4], et dont les termes « n’engagent pas l’identité sexuelle future et excluent la notion de maladie, mais sous-entendent l’existence d’une atypie[5]. ».

Les estimations du nombre de personnes intersexes varient entre 0,02% et 2% voire 10% de la population[6] selon la provenance des chiffres. Le monde médical a tendance à ne considérer comme intersexes que les personnes pour lesquelles le doute est permis à la naissance, tandis que les associations y ajouteront celles pour lesquelles la variation est invisible, se situant par exemple au niveau des gènes.

Des problématiques juridiques se posent chez les personnes présentant des variations du développement sexuel en étant enfant et plus particulièrement lorsque la détermination du sexe n’est pas évidente à la naissance. Se posera en effet la question de l’inscription à l’état-civil, où la mention du sexe est obligatoire selon l’article 57 du code civil, mais surtout celle de la réalisation d’une chirurgie chez les jeunes enfants et parfois les nourrissons. Les conséquences de ces interventions, quelquefois couplées à des prises d’hormones, peuvent être très lourdes. Le principe de proportionnalité[7] entre les risques des opérations et le bénéfice attendu et par extension, celui de la nécessité de l’intervention, exigée par l’article 16-3 du code civil, apparaissent de plus en plus remis en question. L’impossibilité pour le mineur de consentir du fait de son jeune âge pose également problème.

Face au désarroi profond des parents qui se sont projetés à travers leur enfant et qui se retrouvent pris au dépourvu face à une situation pour laquelle les informations sont rares et peu exhaustives, le paternalisme médical s’avère fortement présent, les médecins ayant parfois tendance à imposer leur choix d’affection sexuelle.

En définitive, le problème dépasse le simple cadre médical et questionne plus généralement sur la binarité de la sexualité dans la société.

 

Un cadre normatif récent et non-obligatoire

Les premières décisions en faveur du mouvement intersexe dans le cadre normatif sont assez récentes. Le Conseil de l’Europe a ainsi adopté une résolution en 2017[8], puis le Défenseur des Droits la même année[9] et le Parlement européen en 2019[10]. Le Conseil d’État, a également rendu, sur demande du Premier ministre Edouard Philippe, un rapport en 2018. A cette occasion, le Conseil a notamment pu dégager qu’hors cas d’urgence, où bien évidemment l’intervention chirurgicale doit être pratiquée, « il convient d’attendre que le mineur soit en état de participer à la décision, et notamment de faire état de la souffrance qu’il associe à sa lésion et de moduler lui‐même la balance avantage‐risque de l’acte envisagé. » Le Conseil prend ainsi position en faveur des demandes des associations qui qualifient ces opérations d’affectation sexuelle de « mutilations génitales ». Le CCNE adopte peu ou prou la même approche. La théorie selon laquelle le consentement des parents fait complètement écran à celui de l’enfant du fait de l’impossibilité pour ce dernier de s’exprimer se substitue désormais à l’idée que l’enfant est un être raisonnable en devenir, que son choix compte et qu’il faut donc attendre qu’il puisse participer à la décision.

La nouvelle loi de bioéthique, entre nouveauté et continuité

La communauté intersexe attendait beaucoup de la nouvelle loi de bioéthique entrée en vigueur le 2 août 2021[11]. Des améliorations sont entérinées comme l’allongement du délai d’inscription à l’état-civil, ce qui permet aux parents d’avoir plus de temps de réflexion[12]. A cela s’ajoute la création dans le code de la santé publique d’un chapitre I bis et de l’article L. 2131-6 qui fait désormais état d’une possibilité « d’abstention thérapeutique ». Le texte spécifie également le fait que le consentement du mineur doit être recherché dès que cela s’avère possible. Si ce nouvel article rappelle l’importance du principe de proportionnalité, il n’est pas fait mention d’une interdiction pure et simple des opérations d’affectation sexuelle, ce que déplorent les associations. Elles dénoncent une approche pro-médecin qui maintient la soi-disant « utilité sociale » de ces interventions et consiste à prétendre que le développement “normal” de ces adultes en devenir, leur développement sexuel et leur vie sexuelle sont conditionnés par le fait d’avoir des organes génitaux “normaux”[13].

Un décret d’application doit être pris dans un délai de 18 mois afin d’éclairer les applications de cet article. Par ailleurs, le 10 mars 2022, la Haute autorité de santé a émis un avis défavorable au projet d’arrêté fixant les règles de bonnes pratiques de prise en charge de ces enfants.[14]. Depuis ce jour, rien n’a été publié ni annoncé.

La récente jurisprudence de la CEDH et ses conséquences

Un événement pourrait toutefois modifier le contexte : la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a en effet rendu une décision le 19 mai 2022[15] qui augure la possibilité prochaine d’une interdiction des « mutilations génitales » sur la base de l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme[16]. Cette décision M c/ France n’a pas pu donner lieu à une condamnation de la France pour cause de non-épuisement des voies de recours internes. La Cour s’est néanmoins pliée à une appréciation des faits sans se prononcer sur la violation de l’article 3 de la convention. Elle précise ainsi que « Si l’intention de blesser, d’humilier ou de rabaisser la victime est en principe requise pour qu’un traitement relève de l’article 3, l’absence d’une telle intention ne l’exclut pas de façon définitive. » Elle poursuit sur la définition de la nécessité thérapeutique en indiquant qu’« une mesure dictée par une nécessité thérapeutique selon les conceptions médicales établies ne saurait en principe passer pour inhumaine ou dégradante ». Mais elle ajoute que « La nécessité médicale doit alors être « démontrée de manière convaincante ». Toute la difficulté sera dès lors de définir et prouver cette « démonstration convaincante » de la nécessité médicale de l’intervention d’affectation sexuelle.

Au regard des avis rendus par les instances européennes, ou nationales, de la pression des associations, des divergences qui existent dans la prise en charge de ces personnes au sein même du corps médical, la position française ne semble pas tenable à long terme.

La définition de la nécessité médicale telle qu’elle pouvait être entendue il y a vingt ans n’a plus la même valeur qu’aujourd’hui. La loi du 4 mars 2002[17] qui a consacré l’autonomie du patient par l’information et la recherche de consentement, a fondamentalement fait bouger les lignes. Il y a fort à parier que cette dernière zone d’ombre dans laquelle, par définition, le patient peut difficilement s’autonomiser et où son consentement est déterminé par celui de ses parents, s’éclaircisse tant les répercussions corporelles, souvent irréversibles, peuvent être douloureuses pour ceux qui les subissent.

D’ici là, le combat des associations se poursuit pour que les nouveau-nés, peu important qu’ils soient assignés fille ou garçon, soient avant tout des enfants dont l’intérêt supérieur doit guider les évolutions de la société.

 

CUILLERY NOE

Master 2 – Activités de santé et responsabilités

Université Paris Cité

[1] Se référant aux organes génitaux externes : la vulve et le pénis.

[2] Relative aux gonades c’est-à-dire aux glandes chargées de la reproduction : les ovaires et les testicules.

[3] Se référant aux chromosomes notamment sexuels.

[4] Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine (2012). Attitude à adopter face aux variations du développement sexuel. Questions éthiques sur l’« intersexualité ». Prise de position n° 20/2012, 26 p., Berne, www.nek-cne.ch.

[5] CCNE, Avis n° 132 « Questions éthiques soulevées par la situation des personnes ayant des variations du développement sexuel », p 13.

[6] V. Guillot (2008). Intersexes : ne pas avoir le droit de dire ce que l’on ne nous a pas dit qui nous étions. Nouvelles questions féministes, Éditions Antipodes, 27, 37-48

[7] Article L. 1110-5 du Code de la santé publique.

[8] Conseil de l’Europe (2017). Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes. Assemblée parlementaire, résolution 2191, adoptée le 12 octobre 2017.

[9] Défenseur des Droits (2017). Le respect des droits des personnes intersexes. Avis n° 17-04.

[10]Résolution du Parlement européen du 14 février 2019 sur les droits des personnes intersexuées (2018/2878(RSP)).

[11] Loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioétique (art. 57 du Code civil).

[12] Article 30 de la loi : délai de 3 mois.

[13] Voir notamment les témoignages suivants : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/11/22/enfants-intersexes-les-pratiques-medicales-en-question_6103183_1650684.html

[14] Avis n°2022.0015/AC/SBP-UDCAP du 10 mars 2022.

[15] CEDH, 19 mai 2022, requête n° 42821/18, M contre la France.

[16] « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

[17] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dite « loi Kouchner ».

abcdea