Selon l’Organisation Internationale du Travail, près de 2,78 millions de personnes décèdent des suites d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, et se produisent environ 374 millions d’accidents du travail non mortels par an. Ces chiffres démontrent à eux seuls la nécessité de protéger la santé et la sécurité des travailleurs.

A l’initiative du Bureau International du travail, depuis 2003, la journée du 28 avril offre l’occasion d’attirer l’attention de l’opinion internationale sur les questions de sécurité et de santé professionnelles. Le principal objectif de cette journée est de promouvoir une culture de la sécurité et de la santé au travail qui ne cesse de connaître des mutations faisant émerger de nouveaux risques professionnels du fait des innovations technologiques et des changements organisationnels ou sociaux (nouvelles conditions de travail, nouvelles formes d’emplois).

Afin de mieux saisir les enjeux de cette Journée mondiale, il est nécessaire de clarifier la notion du droit à la santé et à la sécurité au travail (I), d’analyser les diverses sources qui garantissent ce droit (II), ainsi que d’examiner les acteurs impliqués dans sa mise en œuvre (III).

I – La définition du droit à la santé et à la sécurité au travail

La sécurité au travail désigne une démarche visant à supprimer ou à réduire les risques d’accidents susceptibles de se produire lors de l’exercice d’une activité professionnelle.

La santé au travail ne vise pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité. Elle inclut aussi un ensemble d’éléments physiques et mentaux pouvant affecter la santé du travailleur. Selon la définition de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la Santé au travail vise trois objectifs distincts :
– tendre à un haut degré de bien-être physique, mental et social des salariés ;
– prévenir les risques auxquels sont exposés les travailleurs sur leur lieu de travail ;
– maintenir les travailleurs dans un emploi adapté à leurs capacités physiologiques et psychologiques.

II- Les multiples sources du droit à la santé et à la sécurité des travailleurs

Le droit des travailleurs à la protection de leur santé et de leur sécurité puise son origine dans diverses sources : nationales, européennes et même internationales.

Tout d’abord, au niveau international, on dénombre plus de 70 Conventions et Recommandations liées aux questions de sécurité et de santé. Ce droit est notamment mentionné dans le préambule de la Constitution de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).

Ensuite, la santé et la sécurité au travail sont des enjeux européens expressément consacrés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000 en son article 31 qui dispose que « tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité « . Cette Charte a la même valeur juridique que les traités. La Charte sociale européenne proclame quant à elle un droit à la sécurité et à l’hygiène au travail. Aussi, la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux du 9 décembre 1989 dispose que  » tout travailleur doit bénéficier dans son milieu de travail de conditions satisfaisantes de protection de sa santé et de sa sécurité. Des mesures adéquates doivent être prises pour poursuivre l’harmonisation dans le progrès des conditions existantes dans ce domaine. Ces mesures tiendront compte notamment de la nécessité d’une formation, d’une information, d’une consultation et d’une participation équilibrée des travailleurs en ce qui concerne les risques encourus et les mesures prises pour supprimer ou réduire ces risques  » (point 19, al., 1er et 2).

Pour sa part, le droit dérivé régit le droit à la santé et à la sécurité par l’intermédiaire de directives et de règlements.
La directive-cadre 89/391 du 12 juin 1989 constitue d’ailleurs le texte de référence en prévoyant que l’employeur doit prendre les mesures pratiques nécessaires pour assurer la sécurité des travailleurs et protéger leur santé, en combattant les risques à la source, adaptant le travail à l’Homme, ou remplaçant ce qui est dangereux par ce qui l’est moins ou pas du tout. En d’autres termes, elle met à la charge de l’employeur l’obligation générale d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs dans tous les aspects liés au travail (article 5). Son article 13 instaure parallèlement une obligation pour chaque travailleur de prendre soin, selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail. La France a en grande partie transposé cette directive par une loi du 31 décembre 1991 .
En complément de cette directive générale, des directives particulières sont adoptées en réponse aux nouveaux risques comme celle portant sur la protection des travailleurs contre les risques liés à une exposition à l’amiante pendant le travail .
De même, en matière de santé et de sécurité au travail, deux règlements sont particulièrement importants. D’une part, celui du 9 mars 2016 relatif aux équipements de protection individuelle, et d’autre part, celui en date 16 janvier 2019 instituant l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail.

S’agissant du droit national, il faut distinguer les sources non professionnelles et professionnelles.
Les premières renvoient au Code du travail qui consacre ce droit dans sa quatrième partie intitulée « Santé et Sécurité au travail ». En vertu de l’obligation générale légale de l’employeur de veiller à la sécurité et à la santé de ses salariés, cinq principales missions lui incombent : évaluer les risques inhérents à son entreprise et analyser les conditions d’exposition des salariés à ces risques, organiser une formation pratique et appropriée pour ses salariés, informer les salariés sur les risques pour leur santé et leur sécurité, mettre en place une organisation du travail adaptée, donner des instructions aux salariés et s’assurer du respect des consignes données (article L.4121-1 du Code du travail)
De nombreuses lois sont relatives à la sécurité et à la santé au travail (notamment la loi du 27 décembre 1973 concernant l’amélioration des conditions de travail ; la loi du 23 décembre 1982 relative aux comités d’hygiène de sécurité et des conditions de travail ; la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale intégrant de manière novatrice une référence à la santé “mentale » ; la loi du 9 novembre 2010 introduisant la pénibilité dans la démarche de prévention de travail ).

La jurisprudence s’intéresse évidemment aussi aux questions de santé et de sécurité au travail. Ainsi, par un arrêt du 26 février 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation consacre pour la première fois un « droit à la santé et la sécurité » du travailleur .

Mais, en pratique, c’est essentiellement par la voie réglementaire qu’est précisé le droit à la santé et à la sécurité du travailleur, et plus spécifiquement, par décret en Conseil d’État (par exemple, le décret du 23 décembre 2003 qui a trait à la prévention du risque chimique dans les entreprises ; le décret du 17 février 2010 portant sur le contrôle des produits chimiques et biocides ou encore le décret du 18 mars 2022 relatif au document unique d’évaluation des risques professionnels et aux modalités de prise en charge des formations en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail par les opérateurs de compétences).

Les règlements intérieurs des entreprises ainsi que les sources dites « négociées » à savoir le contrat de travail, les conventions et accords collectifs constituent par ailleurs des sources non professionnelles dans lesquelles il est fait mention du droit à la sécurité et à la santé des travailleurs.

Ce sujet est également au cœur des préoccupations de nombreux acteurs externes et internes à l’entreprise.

III – L’implication d’acteurs divers dans la protection du droit à la santé et à la sécurité au travail

Le principal des acteurs internes n’est autre que l’employeur. Il a d’ailleurs, tout intérêt à s’assurer que la sécurité et la santé de ses employés est préservée, puisqu’à défaut, sa responsabilité est susceptible d’être engagée à deux égards.

En cas d’accident du travail, le salarié bénéficie de prestations forfaitaires au titre de la loi du 9 avril 1998 qui le dispense d’apporter la preuve de la faute de son employeur. Mais il pourra prétendre à une indemnisation complémentaire s’il parvient à établir que son employeur a commis une faute inexcusable. L’employeur aura alors la charge du paiement de cette indemnisation complémentaire, même s’il peut couvrir ce risque par une assurance de responsabilité.
La faute inexcusable sera reconnue lorsque “l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver” . Elle donnera donc lieu à un complément d’indemnisation pour la victime (article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale) sans pour autant malheureusement que la réparation octroyée soit intégrale.
L’action sera portée devant le pôle social du Tribunal judiciaire.

Sur le plan pénal, le travailleur peut être condamné à une amende de 10 000 € s’il commet une infraction en matière d’hygiène et de sécurité (article L. 4741-1 du Code du travail). Il peut également être sanctionné sur le fondement du Code pénal et notamment :
– pour homicide involontaire par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement (article 221-6 du Code pénal) ;
– pour exposition d’autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement (article 223-1 du Code pénal).

Pour échapper à sa responsabilité, l’employeur ne pourra pas exciper d’une faute du travailleur.

En ce qui concerne le champ d’application de ces dispositions, les travailleurs bénéficiant de cette protection par les mesures de sécurité et de santé doivent être entendus largement puisque tous les travailleurs titulaires d’un contrat de travail sont concernés mais aussi les stagiaires ainsi que toutes personnes placées sous l’autorité de l’employeur (bénévoles, élèves, détenus effectuant un travail pénal).
Tous les employeurs sont concernés, c’est-à-dire les employeurs de droit privé (article L. 4111-1 du Code du travail) sans distinction, les établissements publics à caractère industriel et commercial (article L. 4111-1, 1° du Code du travail), les établissements publics administratifs lorsqu’ils emploient du personnel dans les conditions du droit privé (article L. 4111-1, 2° du Code du travail ) ainsi que les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux mentionnés à l’ article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière (article L. 4111-1, 3° du Code du travail ).

De leur côté, les travailleurs concourent à la préservation de leur propre sécurité et santé au travail. En ce sens, le Code du travail les rend détenteurs d’un droit d’alerte et de retrait. Cela signifie que le travailleur, tenu à une obligation de moyen, doit immédiatement alerter l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que toute défectuosité constatée dans les systèmes de protection. Son droit de retrait l’autorise à se retirer d’une telle situation (article L. 4131-1 du Code du travail). En outre, animé par l’objectif de responsabiliser le travailleur, le législateur impose une obligation de sécurité qui devra être respectée en fonction de sa formation et ses possibilités ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail (articles L. 4122-1 et L. 4122-2 du Code du travail).

Dès lors, lorsque le travailleur “acteur de sa propre sécurité” manque à son obligation, sa responsabilité risque d’être engagée sur deux terrains.
Sur le terrain pénal, le travailleur peut être poursuivi pour homicide involontaire (article 221-6 du Code pénal) ou pour blessures involontaires (article 222-20 du Code pénal) en cas de maladresse, d’imprudence, d’inattention, de négligence ou de non-respect d’une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.
Une sanction disciplinaire proportionnée est appliquée en cas d’agissement fautif pouvant aller d’un avertissement ou d’un blâme à une mise à pied. Dans les cas les plus graves, comme une faute grave ou une faute lourde, le licenciement peut être envisagé.

Souvent méconnus, des acteurs internes à l’entreprise interviennent dans l’objectif de préserver la santé et la sécurité des travailleurs. C’est tout d’abord le cas du référent santé désigné par l’employeur (articles L. 4644-1 et R. 4644-1 du Code du travail). Ses missions consistent en une démarche d’évaluation des risques, d’élaboration et de planification d’actions de prévention et de suivi de la mise en œuvre de ces actions . Toutefois, le Code du travail ne sanctionne pas le défaut de désignation du référent. En complément, un référent harcèlement sexuel doit également être désigné par le Comité social et économique pour toutes les entreprises d’au moins 11 salariés (article L. 2314-1 du Code du travail).

Ensuite, il y a lieu de souligner le rôle de ce Comité social et économique (anciennement HCSCT) dont les attributions sont définies en fonction de l’effectif de l’entreprise. Plus l’entreprise est grande, plus le CSE est doté de pouvoirs. Cette instance représentative du personnel est obligatoirement constituée si l’entreprise compte au moins 11 salariés sur 12 mois consécutifs (article L. 2311-2 du Code du travail). Ses missions sont variées et très importantes : outre la présentation des réclamations individuelles et collectives, il contribue à la promotion de la santé, de la sécurité et des conditions de travail dans l’entreprise, réalise des enquêtes en matière d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à caractère professionnel. Il dispose d’un droit d’alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes et en cas de danger grave et imminent.
Les services de prévention et de santé au travail (SPST) jouent également un rôle non négligeable au sein de l’entreprise. L’employeur a l’obligation d’organiser ou de rejoindre un tel service (article L. 4622-1 du Code de travail). Leurs missions se sont étendues avec la loi du 2 août 2021 . Ces SPST participent à la prévention des risques, à la prévention et à la désinsertion professionnelle, et assurent un suivi individuel des salariés dans le but d’éviter que l’activité professionnelle n’affecte leur santé. Les médecins du service – médecins du travail – proposent des mesures individuelles en cas d’inaptitude au poste (mutations, modifications du poste du travail, reclassement professionnel) et les infirmiers du travail effectuent des visites médicales (visites de pré-reprise, de reprise et de mi-carrière). Des actions de promotion et de prévention de la santé sur le lieu de travail sont menées, comme des campagnes de vaccination et de dépistage.
L’existence d’acteurs externes mérite enfin d’être mentionnée. C’est notamment le cas des administrations ou entités relevant du ministère du Travail (les Agents de contrôle de l’inspection du travail, le Conseil d’orientation des conditions de travail et comités régionaux d’orientation des conditions de travail, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail), l’Agence Européenne pour la Santé et la Sécurité au Travail, les organismes de sécurité sociale (avec par exemple, la CARSAT (les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail) et l’Institut National de recherche et de sécurité).

Il est manifeste que le droit accorde une importance capitale à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. L’effectivité de ce droit découle incontestablement d’une collaboration étroite entre différentes parties. Tous ces acteurs œuvrent pour un objectif commun, celui de la promotion d’un environnement de travail sécurisé et sain pour tous. La journée du 28 avril offre une excellente opportunité de réaffirmer cet engagement mondial.

Charlotte EDET
Master 2 Activités de santé et Responsabilités

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